Dossier «L'Affaire du RER D» / Libération Fermer la fenêtre
L'absence de témoin et des «contradictions» embarrassent les enquêteurs.

RER D: une agression avec beaucoup de zones d'ombre

Par Jacky DURAND et Patricia TOURANCHEAU
mardi 13 juillet 2004 (Liberation - 06:00)

Toujours pas de témoin, trois jours après l'agression antisémite dont une jeune femme affirme avoir été victime, vendredi, dans le RER D au nord de Paris. «Personne» ne s'était manifesté jusqu'à hier soir auprès des services de police et «aucun élément visible» n'avait été remarqué sur les enregistrements de vidéosurveillance. L'absence cruelle de témoins de la scène du train et le «blanc» sur les images filmées par les caméras braquées sur ce quai alimentent le doute sur la véracité des faits. «Une fois, on trouve un élément qui nous fait douter. Après, un autre la rend plausible. Tant qu'on ne trouvera pas un témoin du RER, on n'aura pas de certitude», souligne un patron de police judiciaire. «Un coup, on est dans le zig, un autre coup, on est dans le zag», résume crûment un officier. Hier soir, le syndicat de police Synergie a évoqué les «contradictions» et le manque «d'éléments probants» dans le témoignage de la jeune femme. Un homme de 28 ans, cité par l'AFP, a affirmé avoir vu la jeune femme, le pantalon déchiré, sur le quai de la gare de Louvres ­ où elle dit être montée dans le train avant l'agression : «Elle pleurait, je lui ai demandé si elle voulait de l'aide. Elle a refusé.» Par ailleurs, LCI a affirmé que la mère de la jeune femme, entendue par les enquêteurs, a «mis en cause la santé mentale de sa fille». Toutes informations que le cabinet du ministère de l'Intérieur refusait hier soir de confirmer.

Plaintes précédentes. Rien ne permet donc de confirmer ou d'infirmer la version de Marie, 23 ans. Les enquêteurs s'attachent à analyser les appels qu'elle a passés, à questionner ses familiers sur sa personnalité et à éplucher les dossiers des «cinq à six plaintes pour vol ou agression» qu'elle a déposées depuis plusieurs années. «Les guichetiers entendus n'ont pas vu la victime. Mais tous n'ont pas été interrogés», indiquait hier un policier. Seul un homme «connu des services» se serait «présenté spontanément» à la police et aurait déclaré à la PJ de Versailles (Yvelines) chargée de l'enquête «que l'une de ses connaissances s'était vantée ce week-end d'avoir participé à l'agression». Mais un enquêteur a indiqué par la suite que «ça ne tenait pas la route». Dans la matinée, trente agents de la police ferroviaire ainsi que des patrouilles de la police nationale et de la gendarmerie ont circulé sur la ligne D pour interroger les passagers à l'heure de l'agression. Là encore, les policiers ont fait chou blanc.

Poignards. Marie a indiqué être montée vendredi vers 9 h 30 dans le RER D en gare de Louvres (Val-d'Oise) avec sa petite fille âgée de treize mois. Selon ses déclarations, six jeunes gens d'origines maghrébine et africaine, dont trois armés de poignards, l'ont bousculée et ont volé son sac. En voyant sur une pièce d'identité une adresse dans le XVIe arrondissement de Paris, l'un des garçons lui aurait lancé : «Dans le XVIe, il y a que des feujs.» Dès lors, ses agresseurs, persuadés qu'elle était juive, lui auraient tailladé les cheveux, lacéré jean et T-shirt, lui griffant la peau de leurs lames. Ils auraient dessiné, au marqueur noir, trois croix gammées sur son ventre. A la gare de Sarcelles, quinze minutes plus tard, les agresseurs auraient quitté la rame en emportant le sac de la victime et en renversant la poussette avec le bébé.

Hier matin, Marie a réitéré ses déclarations lors de son entrevue d'une heure avec Nicole Guedj, la secrétaire d'Etat aux Droits des victimes. Elle lui a soutenu que ses agresseurs auraient tenté d'extraire son bébé du landau où il était retenu par l'une de ses deux sangles de sécurité. «Elle m'a dit qu'il y aurait eu une vingtaine de personnes capables de voir la scène, notamment un jeune homme assis à proximité. Elle compte beaucoup sur lui pour qu'il se manifeste aujourd'hui», a déclaré Nicole Guedj, précisant que la jeune femme avait dit avoir «beaucoup de mal» à identifier ses agresseurs. La ministre explique que, selon Marie, les agresseurs lui ont maintenu la tête baissée afin qu'elle ne les dévisage pas. «Elle m'est apparue sans larmes, ni colère, mais avec dignité, poursuit Nicole Guedj. Elle suppose que les gens n'ont pas osé actionner le signal d'alarme parce qu'il se trouvait juste en dessous de l'endroit de son agression. Elle m'est apparue choquée quand je lui ai indiqué que des gens pouvaient douter de son histoire.»

Absence de réaction. La ministre a également appelé à témoigner un couple qui aurait aidé la jeune femme à descendre du RER. La secrétaire d'Etat a enfin assuré que l'absence de réaction des témoins serait comprise et leur anonymat préservé : «Il me semble difficile maintenant de venir poursuivre des gens qui étaient eux-mêmes en danger.»

Selon la SNCF, les bornes dans les 380 gares d'Ile-de-France enregistrent chaque année 200 000 appels, «dont 10 % à bon escient, c'est-à-dire signalant un malaise ou une agression». Les signaux d'alarme dans les trains sont actionnés à 5 500 reprises, «dont 2 % à bon escient». Selon un responsable du réseau Transilien, «il est extrêmement rare que l'on n'ait pas un signalement a posteriori après une agression». La durée de l'incident, un quart d'heure, ajoute à la perplexité d'un responsable policier : «Les voyous seront toujours les voyous. On ne peut jamais savoir ce qui se passe dans leurs têtes. Mais je vois mal comment une agression peut durer aussi longtemps sans susciter de réaction.»