Dossier «L'Affaire du RER D» / Libération | ![]() | ![]() |
G are Saint-Lazare, 19 h 30, sortie du boulot. Quatre jeunes individus me réclament une cigarette. Je refuse. Les invectives fusent. «Pédé, connard.» Le signal sonore pousse tout le monde à l'intérieur du wagon. Le train démarre. Deux cents mètres parcourus et les jeunes gens sympathiques dont je viens de faire connaissance sur le quai commencent à tout casser (armoire électrique, néons...). Ils déambulent de haut en bas de la voiture à deux étages en faisant virevolter un ceinturon. Les vingt passagers sont terrorisés. Je fais semblant de dormir et téléphone le plus discrètement possible à Police Secours... qui m'envoie promener : «Vous n'avez qu'à tirer le signal d'alarme.» J'ai beau indiquer qu'un tel geste mettrait ma vie en péril, l'accueil est tout aussi dissuasif. J'insiste cependant, précisant l'heure de départ du train et l'heure d'arrivée prévue à Poissy. La police a vingt minutes pour intervenir. «On n'a pas que ça à faire.»
Nous sommes dans la première voiture, ce qui permet au mécanicien d'entendre ce qu'il se passe. Il prévient par radio et, oh miracle, les salariés du ministère de l'Intérieur me rappellent en me demandant si j'accepte de témoigner. Bien que furieux, j'accepte. Une douzaine de flics attendent sur le quai. Les «sauvageons» (jeunes arbres poussés sans avoir été cultivés) sont interpellés. L'un d'eux sort un couteau, un autre assène de violents coups de pieds aux représentants de la maréchaussée. Le haut-parleur annonce que le train est supprimé. Un autre arrivera dans quinze minutes. On me demande de reconnaître les agresseurs. Mes compagnons d'infortune se sont volatilisés. Plusieurs dizaines de voyageurs qui étaient assis dans d'autres wagons commencent à m'insulter : «Avec vos conneries, on va perdre un quart d'heure.» Les flics sont pris à parti.
Pour maîtriser les jeunes fauteurs de trouble, les policiers ont dû leur faire des clefs de bras. Une femme se met à hurler : «Nous sommes dans un état de droit. Vous n'avez pas à les molester. Ce n'est pas comme ça qu'il faut faire. Il faut discuter. Il faut les comprendre. Ils ont peut-être des excuses.» Cette personne qui a précisé par la suite qu'elle était animatrice de quartier, aurait probablement préféré que les policiers s'exprimassent de la sorte : «Jeune homme de bonne famille, puis-je caresser l'espoir de vous demander de bien vouloir me suivre ?» Les «médiateurs» ne sont pas là pour dire ce qu'ils auraient pu voir. Peut-être étaient-ils retardés, trop occupés par un «joint» à finir. C'est ce qu'ils font régulièrement devant tout le monde...
J'entendais vendredi tous les politiques, de gauche comme de droite, s'en prendre à ses poltrons qui n'auraient rien fait dans le RER. Arrive-t-il à aux Chirac, Dray, Raffarin et Huchon de prendre SEULS les transports en commun de temps à autre ? Affrontent-ils des criminels armés de couteaux ? Les flics les envoient-ils promener quand ils demandent de l'aide ? Les voyageurs les insultent-ils parce qu'ils ont «perdu» quelques minutes, un soir, alors que le train du matin était supprimé pour «avarie de matériel» ? Quant aux médias, ne peuvent-ils pas cesser de mettre en cause les témoins, qui ne peuvent peut-être pas faire grand-chose dans l'instant, pour donner quelques conseils et, pour le moins, les inviter à témoigner ? Non seulement, nous, les banlieusards, passons des heures et des heures dans les transports en commun, non seulement nous sommes victimes d'agressions et d'intimidations permanentes mais en plus, on nous dit que nous sommes des salauds ! J'entends déjà les bonnes âmes réclamer plus de prévention. OK. Parfaitement d'accord, il en faut. Et en attendant, on fait quoi ? Il y en a marre !!!
Jan-Paul Pouliquen, Les Mureaux (Yvelines)