Dossier «L'Affaire du RER D» / Libération Fermer la fenêtre
Affaire du RER

Il ne s'est rien passé dans le RER D

La jeune femme qui prétendait avoir été victime d'une agression antisémite a avoué aux policiers avoir tout inventé. Retour sur trois jours d'emballement.

mercredi 14 juillet 2004 (Liberation - 06:00)

 M arie L. a menti. La jeune femme de 23 ans qui a porté plainte vendredi pour une agression antisémite sur la ligne D du RER, en compagnie de sa petite fille de 13 mois, a avoué hier qu'elle avait inventé toute cette histoire. Lors de son audition en début d'après-midi à l'antenne de police judiciaire de Cergy-Pontoise (Val-d'Oise), les enquêteurs l'ont placée face à ses «contradictions» et aux «incohérences» de son récit, apparues au fil de leurs vérifications infructueuses. Elle a commencé par déplacer le lieu de son agression en dehors du train, puis a fini par craquer. Elle a alors admis qu'elle avait imaginé toute cette fable de A à Z et lui avait donné corps pour être crue.

La jeune femme a alors été placée en garde à vue vers 16 h 30 pour «dénonciation de délit imaginaire» (1): «Il résulte des premières déclarations de la jeune femme que ses accusations étaient bien mensongères et qu'elle avait affabulé. Elle a reconnu s'être elle-même porté les marques de coups de couteau, s'être coupé la mèche de cheveux et avoir tracé elle-même les croix gammées sur son corps», a indiqué le procureur de la République de Cergy, Xavier Salvat, dans un communiqué. «Les investigations continuent, dans le cadre de la garde à vue, pour établir toute la vérité et déterminer tous les contours de cette affaire.» Son concubin ­ un jeune menuisier ­ a lui aussi été placé en garde à vue et interrogé dans un autre bureau de l'hôtel de police de Cergy .

«Coup de solitude.» Pourquoi Marie L. a-t-elle monté de toutes pièces ce fait divers, allant jusqu'à taillader ses habits, ses cheveux, sa peau et la poussette de son bébé ?: «J'ai eu un coup de solitude», a-t-elle dit. Selon un commissaire, «elle a indiqué qu'elle voulait attirer l'attention sur elle et son entourage pour qu'on s'occupe d'elle. Elle avait le bourdon, ça n'allait pas dans sa tête et dans sa vie. En fait, elle est fatiguée du cerveau et, nous, on pédale depuis deux jours entre Louvres et Aubervilliers pour vérifier sa plainte.»

Lundi, l'absence de témoins de la scène du RER et le «blanc» sur les bandes vidéo de la gare de Sarcelles ­ où elle était soi-disant descendue après l'agression ­ ont alimenté le doute des enquêteurs. Ils ont eu de gros soupçons sur la véracité de ses déclarations quand l'analyse de la mémoire de son téléphone portable a démontré que Marie n'avait jamais téléphoné à son compagnon depuis Sarcelles, mais de sa gare de départ, Louvres, et cela à une heure antérieure à son agression. Les auditions de sa mère et de son ex-voisine ont renforcé leur conviction. La première a parlé du «sentiment de persécution» de sa fille et de sa «santé mentale» défaillante. La seconde a rapporté des indices sur sa «mythomanie». Enfin, les cinq plaintes qu'elle a déposées entre 1999 et 2003 pour vols et pour une agression avec attouchements sexuels ont été épluchées lundi et ont révélé leur peu de fondement. Les enquêteurs ont repris pas à pas sa plainte déposée vendredi à Aubervilliers ­ corroborée par un certificat médical de dix jours d'incapacité ­ et ont refait «tout le cheminement évoqué par la plaignante. ça ne collait pas».

Hier matin, huit policiers sont allés à son adresse à Aubervilliers. Ils ont interrogé les voisins et les occupants de cet entrepôt de briques où Marie L. est censée résider au deuxième étage. Un escalier métallique en colimaçon conduit à trois portes blindées et à une autre de bois. La jeune femme a dit résider à «la troisième porte à gauche». Vendredi soir, les policiers avaient tenté de joindre en vain la jeune femme à cette adresse. Marie L. était en fait dans la maison de l'employeur de son compagnon à Louvres. Selon le voisinage, le couple et son bébé occupaient ce pavillon situé dans une rue tranquille de ce village de grande banlieue depuis le départ en vacances des propriétaires.

«Temps des enquêteurs.» Franck Carabin, du syndicat des officiers de police Synergie, qui, lundi soir, a pointé «les incohérences» et les «contradictions» dans les déclarations de Marie L., nous a indiqué hier soir que la précipitation «compréhensible» des politiques s'adapte mal «au temps des enquêteurs de police judiciaire, qui ont besoin de sérénité pour mener des investigations [...] Par rapport à l'agression elle-même, personne ne pouvait rester insensible. On ne peut pas incriminer les hommes politiques, ni remettre a priori en cause les déclarations des victimes, mais juste laisser le temps à la PJ d'investiguer, de vérifier».

Jacky Durand et Patricia Tourancheau


(1) Punie d'une peine maximale de six mois de prison et 7 500 euros d'amende.