Dossier «L'Affaire du RER D» / Libération | ![]() | ![]() |
E st-ce pour une banale histoire d'argent que Marie L., 23 ans, une frêle jeune femme aux cheveux châtains, a mis la France entière en émoi, jusqu'à l'Elysée ? Et est-ce vraiment par «amour», comme il le dit, que son compagnon, Christophe, un jeune menuisier, n'a rien dit de la supercherie ? Marie L. doit être présentée ce matin devant le parquet de Pontoise (Val-d'Oise). Son ami pourrait lui aussi se retrouver dans le bureau du procureur. Hier soir encore, ils étaient tous les deux en garde à vue prolongée à l'hôtel de police de Cergy, pour «dénonciation de délit imaginaire».
En début de soirée, les enquêteurs attendaient le rapport du psychiatre qui a examiné mardi soir cette jeune femme et son compagnon. «En fonction des éléments du rapport psychiatrique et de la procédure que nous aurons en notre possession, nous déciderons soit d'ouvrir une information judiciaire (en vue d'une mise en examen, ndlr), soit de la convoquer ultérieurement pour être jugée devant le tribunal correctionnel en comparution immédiate», a indiqué une source judiciaire. Concernant Christophe, la justice attendait là encore des éléments afin de déterminer s'il sera lui aussi présenté ce matin devant le parquet, ou bien remis en liberté. La «dénonciation de délit imaginaire» peut tomber sous le coup de l'outrage à personne dépositaire de l'autorité publique, puni d'une peine maximale de 6 mois de prison et 7 500 euros d'amende.
Carte bancaire. Mardi, en tout début d'après-midi, les policiers sont allés chercher le couple à Louvres (Val-d'Oise) pour l'interroger à l'antenne de la police judiciaire de Cergy. Placée devant ses contradictions et les incohérences de son récit par les enquêteurs, Marie L. a fini par «craquer» : d'abord en déplaçant le lieu de son agression puis en reconnaissant que rien ne s'était passé comme elle l'avait raconté durant quatre jours. Les six hommes qui, prétendait-elle, l'avaient attaquée dans le RER D durant près d'un quart d'heure et l'avaient dépouillée de son sac, contenant ses papiers d'identité, sa carte bancaire et une somme de 200 euros, n'avaient en fait jamais existé. Les auditions séparées de la jeune femme et de son compagnon ont permis aux enquêteurs de reconstituer le scénario de l'affabulation.
Le matin de la pseudo-agression, vendredi 9 juillet, alors que son compagnon était au travail, la jeune femme s'est retrouvée seule avec sa petite fille de treize mois dans le pavillon de Louvres. Une maison que le couple occupe en l'absence de son propriétaire, l'employeur de Christophe, parti en vacances avec sa femme et ses trois enfants. C'est un endroit tranquille, gardé par deux chiens dans un lotissement. A l'horizon de cette zone pavillonnaire, les avions décollent de Roissy-Charles-de-Gaulle. Dans la maison, Marie L. s'est munie d'un couteau de cuisine pointu avec lequel elle s'est «griffé» le menton ainsi que les deux joues. Elle a lacéré son pantalon, son tee-shirt et le landau de son bébé. Marie L. s'est également coupé une mèche de ses cheveux châtains avec une paire de ciseaux et l'a jetée dans la poubelle de la cuisine. Sur son ventre, la jeune femme a dessiné trois croix gammées au marqueur bleu.
Certificat médical. Marie L. s'est ensuite rendue à la gare RER de Louvres où elle a appelé son compagnon sur son téléphone portable. Elle lui a raconté avoir été agressée. Il l'a rejointe, et des témoins ont confirmé avoir vu le couple en gare de Louvres. Son conjoint a encouragé Marie L. à porter plainte, ce qu'elle a fait dans l'après-midi au commissariat d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), ville où elle a affirmé résider habituellement, au 2e étage d'un immeuble aux allures de modeste entrepôt. Elle s'est présentée aux policiers après avoir consulté un médecin qui lui a délivré un certificat médical de dix jours d'incapacité. Mais très vite Christophe a eu des doutes. «Il a parlé de la "mythomanie coutumière" de sa compagne, raconte un policier. Ce qui ne l'a pas empêché de cautionner son affabulation. Il a indiqué qu'il avait agi ainsi parce qu'il "aime Marie".»
La jeune femme a avancé plusieurs raisons pour justifier ses mensonges. «Un coup de solitude», «le désir d'attirer l'attention sur elle et son entourage pour qu'on s'occupe d'elle». «C'est un vieux classique chez les mythomanes», estime un haut fonctionnaire de la police. Marie a également évoqué une histoire d'automobile qu'elle se serait engagée à acheter auprès d'un ami en région parisienne. Mais elle n'a pas pu réunir les «15 000 euros nécessaires». «Elle devait payer vendredi matin, raconte un policier. Elle affirme avoir monté tout ce mensonge de l'agression pour ne pas aller au rendez-vous.» Marie L. et son compagnon n'ont en revanche pas été en mesure d'éclaircir les raisons de la présence d'un hématome sur la tête de leur petite fille. «Ils ne se l'expliquent pas», affirme une source proche de l'enquête. Dans ses mensonges, la jeune femme avait expliqué que son bébé avait roulé sur trois mètres quand ses agresseurs avaient balancé la poussette sur le quai du RER à Sarcelles.
Psychiatres. Mercredi matin, la mère de Marie L. a demandé sur RTL que sa fille soit jugée, mais aussi soignée car elle est «fragile». Selon la mère, «elle a déjà été vue par des psychiatres», mais «on ne peut pas soigner quelqu'un contre son gré». «Je ne trouve pas normal qu'elle mette la France dans cet état. Il y a eu des manifestations pour elle, je n'admets pas ce genre de choses donc je voudrais que justice soit faite, mais, si c'est parce qu'elle était malade, qu'elle soit soignée», a-t-elle estimé. Entre 1999 et 2003, Marie L. a porté plainte à cinq reprises pour des affaires de vol ou d'agression. Le Point daté du 15 juillet revient notamment sur une plainte déposée en janvier de l'année dernière. Marie, «enceinte de six mois, affirmait avoir été agressée sexuellement par "quatre ou cinq Noirs africains" sur un parking d'immeuble», rapporte l'hebdomadaire. Le parquet de Créteil (Val-de-Marne) a classé l'affaire sans suite en octobre dernier.
Hier matin, les policiers ont perquisitionné le pavillon de Louvres qu'occupait le couple. Ils ont retrouvé le marqueur bleu, la paire de ciseaux, ainsi qu'une carte bleue que la jeune femme avait déclarée volée. Mais pas la mèche de cheveux.