Dossier «L'Affaire du RER D» / Libération Fermer la fenêtre
Le lapsus de Chirac sur l'«affaire du RER D» a trahi ce que pense une majorité de Français.

Un miroir tendu à la République

Par Bruno MATTEI
mardi 20 juillet 2004

 Q uelle leçon peut-on espérer tirer collectivement de l'affaire dite du «RER D» avant même le procès de Marie L. qui aura lieu lundi prochain ? Au-delà de savoir qui a piégé qui et réciproquement (on en resterait alors à une simple pragmatique de la prudence), il conviendrait plutôt, dans l'après-coup d'un événement, de lire cette histoire comme un miroir tendu par Marie «l'affabulatrice» à sa cousine ou soeur jumelle Marianne...

Car il ne suffit certainement pas de dire que Marie était une malade mythomane comme l'ont fait savoir quelques Diafoirius autorisés. La jeune femme, qui a su être à elle toute seule une petite Ligue d'improvisation, se faisant metteur en scène, actrice, attachée de presse pour surjouer ­ pour une unique représentation tenant la France en émoi ­ les inquiétudes, les zones d'ombre et les fantasmes d'une société, n'était pas ce jour-là, ou n'était plus, une mythomane. Car la mythomane ordinaire des traités de psychiatrie met sa vie en récit sur des scénarios intimes et généralement des plus pauvres, mais qui lui suffisent à faire valoir son mal-être et ses frustrations. Ici, au contraire, il s'agit d'une mise en scène qui, bien au-delà d'une vérité psychologique de souffrance, est parvenue à habiter «une névrose collective» à travers l'inquiétante familiarité d'un scénario où les désirs et les pulsions d'une société ont pu se délivrer une fois de plus.

Le chef de l'Etat en personne ne s'y est pas trompé, lui qui s'est engouffré dans la brèche en nous livrant le vrai du faux du scénario de Marie dans une sorte de grand lapsus national. En expliquant que «nos compatriotes juifs, musulmans ou d'autres, même, tout simplement parfois des Français, sont l'objet d'agressions au seul motif qu'ils n'appartiennent pas ou ne sont pas originaires de telle ou telle communauté», le chef de l'Etat, toutes odeurs confondues, a pu dire en majesté ce que pense au fond une majorité de Français (autrement nous n'aurions eu ni le 21 avril 2002 ni la calamiteuse loi sur le voile à l'école), à savoir qu'il y a, à côté des citoyens français, d'autres citoyens qui méritent encore et toujours d'être surlignés par leurs appartenances communautaire et/ou religieuse.

Rendons grâce à Marie la mythomane d'avoir rappelé à Marianne, si fraternelle et laïque, ce que Nietzsche avait dit : que la maladie pouvait être un point de vue sur la santé. A condition toutefois qu'on ne tire pas le rideau sur l'«affaire» dans le lâche soulagement d'un «procès en mythomanie» ourlé dans une version hard et compassionnelle de Zazie dans le métro comme le suggère l'ultime mise en scène de la repentance télévisée de «la petite-peste-inconsciente» ; mais que ce qui s'est passé devienne au contraire l'occasion d'une sorte de thérapie collective où les Français auraient le courage de reconnaître toute sa valeur d'événement, donc de vérité, à l'histoire du «RER D station Louvres».

par Bruno Mattéi professeur de philosophie à l'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM) de Lille.