I l me faut le dire, les juifs ou Juifs ont peu
d'intérêt pour moi. Non que leur culture ne m'intéresse ni que certaines personnes dites
juives ne retiennent mon attention comme artistes ou intellectuels, ou plus prosaïquement
comme amis ou relations. Mais une supposée entité désignable «les juifs» me paraît de nul
intérêt. D'ailleurs, «les juifs» ça n'existe pas. Je veux dire: il n'existe pas un groupe
qui se désigne comme tel dans sa propre langue: les juifs ou Juifs qui se désignent ainsi
le font dans la langue de leur pays d'accueil; en ce cas, c'est «leur propre langue» mais
non pas la langue de la judaïté. Excusez le léger hermétisme de la chose, mais
voici: le mot “juif” dérive d'une désignation par les Grecs de l'ensemble des populations
vivant dans la province sous leur administration qui porta le nom de Judée qui correspond
actuellement à Israël et au Liban et à une partie de la Syrie et de la Jordanie. Je ne
sais comment «les juifs» se désignent comme groupe propre, mais quand ils se désignent
“juifs” ils le font comme membres d'un autre groupe – comme Français, Belges, Suisses ou
autres francophones – ou comme locuteurs habituels ou occasionnels de la langue où l'on
nomme ce supposé groupe «les juifs». Un terme plus exact, “israélite”, pointe la vraie
singularité de ce groupe, puisqu'il s'applique aux pratiquants d'une certaine religion,
celle des «fils d'Israël» - une manière de dire à ne pas prendre littéralement, cela
correspond assez à la manière dont les chrétiens se disent «enfants de Jésus».
Non, «les juifs» ne m'intéressent pas en eux-mêmes mais en tant que concept dans
l'organisation symbolique de la société française et, plus largement, des sociétés où
l'on a un rapport difficile avec la notion de judaïté ou de judéité. Dans un autre texte
de cette série je l'écris plus précisément, cela remonte à loin dans l'aire culturelle de
l'ancien empire romain d'occident, précisément à l'époque de cet empire (au sens premier
de zone où la Rome républicaine imposait son imperium, non au sens tardif du mot,
quand un imperator gouvernait cette entité). C'est que les tenants de la religion
des Hébreux posaient un sacré problème car leur doctrine avait de grands attraits. Or, à
Rome comme aujourd'hui la religion était un instrument de pouvoir et un instrument du
pouvoir. Donc, une religion puissante et en contradiction avec celle officielle mettait
le pouvoir en danger. Comme cela arrive encore aujourd'hui.
Il serait naïf de croire, comme on nous en rebat les oreilles ces temps-ci, que les
religions, qui ne sont pas à confondre avec les croyances, ressortent du domaine privé:
elles ressortent à l'évidence du domaine publique. Les croyances sont plutôt de l'ordre
de l'intime mais leur expression doit passer par l'entremise d'une institution puissante
ou obtenir l'adhésion d'une partie significative du corps social pour, dira-t-on, «avoir
droit de cité».
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