C e n'est pas le tout, dans les autres pages de
cette sous-rubrique je discute des juifs, non comme réalité historique mais par l'usage
qu'on en fait dans les médias en France et en ce début de XXI° siècle. S'il y a dans le
texte «Les Juifs de service» une petite discussion sur les juifs en tant qu'eux-mêmes,
c'est indirect et plutôt illustratif d'un processus général. Maintenant, il y a ce fait
indéniable, cela fait plus de 2000 ans que les adeptes de la religion juive sont l'objet
d'une haine constante de la part de toutes les civilisations qui se succédèrent en Europe
et dans ses colonies de peuplement, haine désormais partagée dans l'espace musulman, ce
qui, soit précisé, est un fait récent clairement lié aux effets de la période coloniale
des XIX° et XX° siècles. Cela pose question: bien des peuples subirent des violences
graves, jusqu'aux tentatives d'extermination; avec les juifs, il s'agit d'autre chose, on
veut détruire une idée et un certain rapport au monde. L'idée, c'est le monothéisme, qui
postule un dieu unique et incorporel, «absent au monde»; le rapport au monde en découle:
les humains sont libres de leur destin et tous égaux devant le dieu. Cette philosophie
sema le germe de la démocratie, mais la démocratie en un sens moderne, et non en celui
restreint qui eut lieu dans la Grèce classique. Le terme est d'ailleurs inexact: la
démocratie, c'est «le pouvoir des dèmes», qui sont, nous dit le Trésor de la Langue
française, la «subdivision de la tribu». La citation donnée est éclairante:
«Clisthènes l'accomplit [une réforme religieuse] en supprimant les quatre anciennes
tribus religieuses, et en les remplaçant par dix tribus qui étaient partagées en un
certain nombre de dèmes». Dans son sens antique, la démocratie est un gouvernement
«non démocratique» en son sens actuel, apparu à la fin du XVII° siècle et affirmé au long
du XIX°, du moins dans certaines nations. Car l'acception de «démocratie» varia beaucoup
dans les pays où le terme s'implanta. C'est lié à deux choses: l'opposition entre droit
du sol et droit du sang, et l'extension du droit de suffrage.
Dès le départ, il y a une nette opposition, et qui persiste jusqu'en ce début de XXI°
siècle, entre les nations qui privilégièrent le droit du sol, comme les États-Unis ou la
France, et ceux qui optèrent pour le droit du sang, comme l'Allemagne ou le Royaume-Uni.
Pour l'extension du suffrage, il y eut en revanche une évolution comparable: au début,
sauf pour une brève période dans les débuts de la I° République française, le suffrage
fut censitaire, et la base de cens assez universelle, être propriétaire et/ou payer des
impôts. Ensuite, la modalité varie. Ce n'est qu'après la deuxième guerre mondiale que le
suffrage universel au sens plein, c'est-à-dire, réunissant tous les citoyens quels que
soient leur sexe, leur origine et leur situation et sur seul critère d'âge, s'imposa dans
les nations démocratiques. Et ce n'est qu'à la fin du XX° que le droit du sol s'imposa
dans presque tous. Sans exclusive au droit du sang — comme en Allemagne par exemple. Si
ces termes n'avaient pas un autre usage, on parlerait plus justement, pour les pays où le
droit du sol prévaut et où on a instauré le suffrage universel, de nationalisme et de
socialisme que de démocratisme et de républicanisme. Quel rapport avec les juifs ?
Celui indiqué: cette manière de comprendre la démocratie, elle dérive de la philosophie
théologique qu'on trouve dans la Torah, et que continue et développe une partie de la
«nouvelle alliance», du Nouveau Testament.
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