Gregory Bateson & Jurgen Ruesch
Communication & Société
PRÉC. SOMM SUIV.

P A R T I E   I I I – Communication et maladie mentale
Jurgen Ruesch


S O M M A I R E


067

III - Communication et maladie mentale
– Approche psychiatrique –
Jurgen Ruesch

Chacun d'entre nous vit, mais réussir sa vie est un art qui n'est pas à la portée de tout le monde. Ceux qui sont éprouvés par des échecs - les patients - ont besoin d'être soulagés; ceux qui croient posséder un savoir en la matière - les thérapeutes - essaient de provoquer une amélioration. Un échange s'instaure quand des patients et des thérapeutes se rencontrent et au cours de ces rencontres se produit ce qu'on appelle la psychothérapie. Mais on peut trouver des éléments thérapeutiques à chaque pas dans la vie. Dans les relations sociales, peu importe qui a besoin d'aide et qui prête assistance. Il n'est pas nécessaire (et même il n'est parfois pas judicieux) que les gens sachent qu'on les aide. Le patient doit avant tout avoir l'impression que son sentiment d'échec diminue et cela doit être perçu par celui qui prête assistance. L'impression éprouvée à l'issue d'une communication bénéfique agit sur les sujets et ils commencent à rechercher la compagnie d'autrui. Parfois, les interlocuteurs peuvent être une mère et son enfant; d'autres fois, ce sera un médecin et son malade, dans d'autres cas, un professeur et un élève ou bien encore un croyant et son conseiller spirituel. Il est probable que chacune de ces relations duelles fera appel à une combinaison différente de langage et de symboles et que chacun recourra à des systèmes scientifiques et philosophiques spécifiques pour expliquer ce qui est arrivé; cependant, la nature de ces événements reste toujours la même: c'est un phénomène qui se produit au cours d'une relation avec d'autres personnes. Le psychiatre a pour tâche d'aider ceux qui ne sont pas parvenus à une communication satisfaisante et la psychiatrie, en tant que discipline 068 scientifique, vise à recueillir de l'information sur la nature de ces échecs et promouvoir des mesures pour y remédier.

Un psychothérapeute qui s'intéresse à la conduite humaine n'observe et n'étudie évidemment pas seulement ce que font les patients: il doit aussi diriger son attention sur les aspects du comportement susceptibles de changer au cours de la thérapie. Le thérapeute se sert de sa connaissance du comportement humain dans le but d'améliorer la santé du patient. Quelles que puissent être sa formation et ses options personnelles, le thérapeute cherche à influencer le comportement de ceux qui viennent à lui pour se faire aider. Contrairement au naturaliste qui étudie la nature et se concentre sur ce qui est, le thérapeute s'intéresse surtout au devenir, aux potentialités de développement, plutôt qu'il ne vise au maintien d'un statu quo comportemental. Cependant, ce point de vue n'est pas universellement partagé. De nombreux psychiatres pensent encore que le comportement déviant et la maladie mentale sont des bizarreries qu'il faut répertorier et circonscrire; leur attitude est très proche de celle des naturalistes. Outre ces deux types d'orientation, il nous faut encore signaler les psychiatres qui travaillent surtout dans le domaine administratif, dans la recherche sociale ou physiologique, ou au service des tribunaux, et qui occupent des positions qu'on ne peut comparer ni à celle des thérapeutes ni à celle des naturalistes. Une brève description de la scène psychiatrique illustrera la variété de ces positions par quelques exemples.

LA SITUATION DE LA PSYCHIATRIE CONTEMPORAINE

Freud a sans doute été l'homme qui a exercé la plus grande influence sur la pensée psychothérapeutique. En témoigne le nombre de ses disciples qui adhèrent au système psychanalytique orthodoxe et forment un monument vivant en hommage à son génie [54]. D'autres penseurs ont par ailleurs influencé profondément les thérapeutes américains. Il nous faut mentionner Adler, Jung, Rank, Reich et Stekel [122] qui, à un moment ou à un autre, ont été associés au mouvement freudien et qui tous 069 ont eu des adeptes dans ce pays. Outre ces influences autrichiennes, suisses et allemandes, les travaux des Français Charcot, Janet et Bernheim ont aussi joué un rôle [83; 84]. On peut regrouper toutes les différentes écoles européennes de thérapie qui constituent une des sources de l'actuelle configuration complexe de la psychiatrie américaine et noter que la deuxième source est une école de pensée née dans ce pays. Elle a anticipé certains des courants thérapeutiques européens et elle est associée au nom d'Adolf Meyer [101]. Bien qu'il soit lui-même d'origine suisse, Meyer a essayé d'intégrer les notions américaines de processus et de changement à la pensée européenne, plus attachée à la structure. Il a été le premier à souligner l'importance des réactions comportementales et à insister sur le concept d'ajustement aux situations existentielles. Il a ainsi introduit de la souplesse dans les conceptions plutôt statiques de la psychiatrie à son époque. Une troisième source de la psychiatrie américaine moderne est constituée par la psychologie académique et elle reflète les diverses tendances de la psychologie [44]. Des noms comme ceux de Watson, de Prince, de James, de McDougall sont connus de tous [121] et, à une époque plus proche, les écoles qui se réclament de la Gestalt Psychologie [89] et des travaux expérimentaux les plus récents sur le conditionnement [100; 128] et l'apprentissage [75; 119] ont exercé une influence considérable. On peut trouver une quatrième source [125] de la psychiatrie américaine dans le système hospitalier des différents États américains tel qu'il s'est développé au cours du XIXe siècle [186], tandis qu'une cinquième source se situe dans la médecine clinique, la physiologie et la neuropsychologie [39; 40; 58].

Aujourd'hui on peut donc établir que les prémisses de valeurs qui régissent la psychothérapie américaine possèdent cinq sources historiques: la psychanalyse, la psychobiologie, la psychologie expérimentale et sociale, la psychiatrie hospitalière publique et la médecine. Une synthèse des divers apports a débouché sur de nouvelles orientations: on adapte à la situation américaine des concepts européens et l'on combine des concepts venus des pences sociales avec des approches purement physiologiques. parmi les tendances américaines modernes, il faudrait aussi mentionner la médecine psychosomatique [137; 141; 150]. Dunbar [50; 51], Alexander et French [4], Weiss et English [174] et d'autres tentent d'intégrer les concepts psychanalytiques aux 070 découvertes de la physiologie qui ont été faites par les praticiens de la médecine clinique [2]. Alexander et French [3] ont également tenté d'adapter la psychanalyse aux besoins actuels de la psychiatrie. Dans leur livre Psychoanalytic Therapy [Thérapie psychanalytique], ils préconisent de diminuer le nombre des séances, d'éviter les réactions de transfert trop intenses et de raccourcir les cures. De même, Rogers [137] a proposé une méthode de «conseils non directifs» pour aborder les problèmes quotidiens d'ajustement tels qu'ils sont ressentis par le «client» Sullivan [160], Horney [76], Fromm [56], Kardiner [85], Ruesch [140; 143] et d'autres ont tenté de remédier à l'isolement traditionnel de la psychiatrie par rapport aux autres sciences humaines. Ils ont attiré l'attention sur la matrice sociale au sein de laquelle agissent à la fois le patient et le psychiatre. L'École de psychiatrie de Washington [120], par exemple, s'est constituée à partir de la prémisse de Sullivan selon laquelle le psychiatre moderne devrait avant tout se soucier des relations interpersonnelles plutôt que de la structure psychique interne du patient. Parmi d'autres tendances importantes, il faut mentionner également la psychologie de l'enfant, la protection infantile et l'hygiène sociale de l'enfance [6; 71]. Elles se développèrent en intégrant deux éléments principaux: l'insistance de Freud sur le retentissement des événements de l'enfance, d'un côté, et l'importance que les Américains attachent à la vie familiale, de l'autre. Les théories et les observations sur les événements de l'enfance rencontrent aux États-Unis un écho favorable parce que la vie de la famille américaine s'organise surtout autour de l'enfant: tout ce qui peut être bénéfique pour l'enfant sera bien accueilli par l'opinion publique.

Si l'on examine les effets opérationnels de la thérapie américaine, il faut dire qu'en général on préfère une thérapie d'expression à une thérapie de suppression [57]. Cette dernière entre ouvertement en conflit avec l'idéologie américaine de l'égalité dont l'un des buts primordiaux est de libérer l'individu de toute autorité répressive identifiable. On trouve des thérapies de l'expression non verbales comme l'ergothérapie [70], la ludothérapie [46], le psychodrame [115; 116], la musicothérapie [99] et l'art-thérapie (peinture avec les doigts) [156]. Les principes liés à la manipulation sociale se manifestent, au sein de la culture américaine, dans le travail des services sociaux psychiatriques [55] et dans 071 d'autres tentatives pour agir sur le milieu environnant. La valorisation culturelle de l'efficacité de l'organisation et de la santé physique se trouve à la base des méthodes qui concernent le corps et l'influencent directement, telles que la relaxation progressive [81], la diététique [154], etc. la thérapie de groupe exprime manifestement la conception américaine de la sociabilité, et valorise l'aptitude à s'adapter à un groupe. La narco-analyse [77] tente de combiner l'hypnotisme [30; 183] avec l'action de drogues: cette méthode a paru économiser du temps et des efforts et on y a recouru largement dans des situations désespérées pendant la Seconde Guerre mondiale [66; 67].

Les efforts combinés des différentes écoles thérapeutiques, des institutions de formation et autres organismes intéressés à la thérapie et à la prévention de la maladie mentale ont suscité quelques changements dans l'opinion du public sur la psychiatrie. Aujourd'hui, ces influences diverses ont uni leurs forces et se sont organisées sous la bannière de la «santé mentale». Un vaste mouvement pour la santé mentale se construit aux Etats-Unis et aboutit à un processus d'intégration où la psychanalyse, la psychobiologie, les techniques de la santé publique et la médecine se rencontrent et se rapprochent de plus en plus [118; 129], Psychiatres, psychologues, anthropologues, travailleurs sociaux, fonctionnaires de la santé publique et des services sociaux, juges, policiers et médecins privés collaborent de plus en plus à la diffusion des concepts de base de la santé mentale. Les municipalités, les États, ainsi que la législation fédérale et le pouvoir exécutif prennent progressivement conscience de la nécessité d'adopter des mesures pour faire face aux problèmes d'inadaptation; aussi, des équipes de responsables rassemblent-elles de plus en plus d'argent pour les hôpitaux, la formation et la recherche psychiatriques. De plus en plus d'études scientifiques et d'interventions thérapeutiques visent à réadapter ou réinsérer les criminels, les jeunes délinquants, les aveugles et les sourds, les handicapés, les enfants prédisposés aux accidents et ceux qui souffrent de paralysie infantile [12]. Les dirigeants de l'industrie s'attaquent à bras-le-corps à ces problèmes spécifiques et nulle part au monde la psychologie industrielle n'est aussi avancée qu'aux États-Unis [132]. Last but not least, des questions comme les préjugés raciaux, la disparition des bidonvilles et même 072 l'intolérance entre communautés religieuses commencent à inté-| resser les spécialistes de la santé mentale. La coopération des divers groupes a fini par réduire progressivement les cloisonnemments rigides entre les disciplines scientifiques et thérapeutiques. Engagés dans une émulation générale, des responsables de divers horizons confrontent leurs différentes conceptions et la diffusion de l'information exerce un impact direct sur le destin des déviants par le truchement d'interventions culturelles, physiques, ou physiologiques. De plus en plus d'invalides chroniques et de déshérités sont maintenant réinsérés par les nouveaux services municipaux et fédéraux de la santé mentale et par les institutions scientifiques.

La culture américaine, qui valorise l'égalité et la santé, contribue à diffuser les connaissances et à réduire les différences individuelles. Elle favorise en même temps la formation de groupes de pression qui rivalisent pour la suprématie et le pouvoir. La psychiatrie n'échappe pas à ces phénomènes. Alors qu'en Europe cette compétition s'exprime sous forme d'opinions idéologiques divergentes qui ne sont pas du tout organisées ou bien deviennent le credo suprême de quelque régime totalitaire, aux États-Unis les idéologies sont seulement mises en avant comme un prétexte moral pour obtenir le pouvoir. Cette manière d'agir rend bien sûr nécessaire une organisation politique efficace qui s'incarne au sein de sociétés, d'associations ou de groupes qui exercent des pressions et font bénéficier leurs membres des avantages obtenus.

Toute association, tout groupement, se conforme plus ou moins aux modèles d'organisation qu'offre le système politique du pays considéré. Ce propos ne doit pourtant pas être pris à la lettre car ces similitudes ne s'accentuent qu'à un niveau d'abstraction assez élevé. Cependant, le lecteur comprendra de quelle similitude nous parlons s'il veut bien garder présente à l'esprit la description du système de contrôle et régulation (voir p. 182). Aucune idée, qu'elle soit d'origine sociale, religieuse ou individuelle, ne peut échapper à l'exploitation politique si elle devient un tant soit peu connue. Il y aura toujours quelqu'un pour utiliser une telle idée et la mettre au service de sa quête du pouvoir. Napoléon s'est lancé à la conquête du monde au nom de la Révolution française et les Croisades ont été entreprises au nom du christianisme. Les partisans impatients d'une idée féconde recourent 073 trop souvent à des méthodes qui détruisent l'idée même qu'ils tentent de promouvoir.

Au début, une idée appartient généralement à un seul individu. Par la suite, elle peut se répandre, mais elle échappe encore à la connaissance publique jusqu'à ce que, finalement, elle devienne le centre d'une organisation politique. Au fil des années, elle s'institutionnalise, et ce n'est que lorsque l'organisation officielle se désintègre que cette idée-là, sous une forme peut-être modifiée, tombe dans le domaine public. Le laps de temps entre l'introduction d'une idée et son adoption par le grand public peut atteindre plus de deux siècles, estime-t-on [186].

En psychiatrie, on commence à peine à constituer un corpus cumulatif de connaissances auquel de nombreux chercheurs anonymes pourraient apporter des contributions. Pour le moment, nous sommes encore au second stade de développement où chaque école s'organise autour d'un nom éminent et où la ségrégation des disciplines prévaut. Chaque psychiatre en vue qui a inventé une nouvelle théorie ou a introduit une nouvelle pratique thérapeutique a tendance à former une nouvelle école de pensée. Nous rencontrons encore aujourd'hui des écoles psychiatriques qui portent des noms de personnes et qui sont à couteaux tirés avec d'autres écoles liées aux noms de personnes différentes, rivales. Elles présentent généralement des divergences idéologiques et théoriques plutôt que pratiques. On pourrait même aller jusqu'à dire que les interventions thérapeutiques sont beaucoup plus proches les unes des autres que ne le laissent supposer les débats théoriques. Il semblerait que les psychiatres qui se mettent progressivement d'accord pour définir leurs pratiques thérapeutiques tolèrent mieux les points de vue de leurs collègues et se comportent plus comme des techniciens et moins comme des artistes.

L'importance que les Américains attachent aux changements, la valorisation des techniques et des sciences appliquées, l'optimisme du citoyen américain en ce qui concerne le progrès social sont des bases à partir desquelles la psychothérapie a pu se développer. De nos jours, certaines écoles ont intégré quelques-unes de ces valeurs dans leurs plans respectifs et sont en passe de changer leurs formulations théoriques. Ces formulations étaient apparues à plusieurs endroits en Europe et s'enracinaient dans des situations historiques et sociales variées. L'Amérique n'est 074 pas seulement le melting pot des nationalités, c'est aussi un lieu où s'opèrent des synthèses entre des formulations théoriques divergentes. On a abandonné la théorie pour la théorie, on a renoncé à des idiosyncrasies, on a modifié les positions et les points de vue particuliers et on s'attache à élaborer des formulations en vue d'utilisations pratiques.

OÙ EN EST LA THÉORIE PSYCHIATRIQUE

Cette brève présentation de la psychiatrie contemporaine montre suffisamment comment elle est organisée. Nous allons maintenant nous intéresser à la théorie psychiatrique. Nous dépasserions le cadre de ce livre si nous voulions exposer les différents systèmes théoriques qui expliquent les déviations du comportement; de plus, nous ne ferions jamais que répéter ce qui est déjà bien connu. Nous allons plutôt attirer l'attention du lecteur sur le schisme grave qui existe entre la théorie psychiatrique et la pratique psychiatrique: à tel point que, fréquemment, théorie et pratique ne semblent posséder qu'un rapport très lointain, quand elles ne sont pas en contradiction. Pour illustrer cet étrange paradoxe, nous essaierons de ramener les multiples théories psychiatriques à quelques principes fondamentaux.

Selon nous, ces prémisses ne peuvent pas s'intégrer d'une façon satisfaisante en un seul système psychiatrique unifié parce qu'elles sont nées à des périodes historiques différentes où les centres d'intérêt et les buts n'étaient pas les mêmes. C'est pourquoi les théories psychiatriques existantes ne sont pas satisfaisantes quand on s'en sert pour expliquer les techniques thérapeutiques modernes. Nous avancerons en outre que, dans la mesure où les thérapies modernes veulent améliorer l'expression et les moyens de communication des patients, la théorie de la communication est la plus adéquate pour expliquer les méthodes thérapeutiques.

Systèmes linéaires et systèmes circulaires

Avec l'engouement mécaniciste extrême des XVIIe et XIXe siècles [147], les chaînes causales que recherchaient les 075 scientifiques étaient presque sans exception linéaires, ramifiantes ou convergentes.

La question «Pourquoi ?», la foi en une causalité unique [29], et l'insistance sur les problèmes d'étiologie et d'évaluation des maladies ont surdéterminé les réponses proposées. Une série d'événements espacés dans le temps ou bien une série de facteurs structurés dans l'espace étaient regroupés pour construire une théorie de la causalité. On pensait que ce qui précédait déterminait complètement ce qui suivait. Dans ces systèmes, il semblait illégitime d'invoquer des causes finales comme une explication partielle. De profonds changements [134] ont récemment été introduits par l'étude des systèmes qui disposent de propriétés autocorrectrices et sont capables de réponses prédictives et adaptatives. Le lecteur admettra que ces systèmes simulent presque les fonctions des organismes; et il s'apercevra aussi qu'en fait ils ont été découverts par des physiologistes comme Claude Bernard qui, dès 1860, a proposé le terme de «milieu interne» [26]. Ce concept d'environnement interne et sa cohérence ont exercé une influence profonde sur les physiologistes, mais ce n'est qu'après la formulation par Cannon [36; 37] du concept de mécanismes homéostatiques que les mécanismes circulaires, autocorrecteurs, ont été explicitement et officiellement reconnus par la médecine. De nos jours, la majorité des médecins et des biologistes emploient le concept d'homéostasie comme modèle scientifique pour expliquer les processus physiologiques.

Un développement semblable et concomitant est intervenu aussi dans le domaine de la psychologie et de la psychiatrie. A la fin du XIXe siècle et pendant la première décennie du XXe siècle, une approche radicalement nouvelle en psychologie et en psychiatrie est apparue. La psychophysiologie [165; 185] et la psychiatrie des grandes fonctions [91] ont graduellement fait place au comportementalisme [171], à la psychobiologie [101], à la psychologie de la forme [89] et à la psychanalyse [54].

Après s'être préoccupé du discours conscient, on s'est intéressé à l'étude des traits inconscients, des omissions dans les énoncés, des structures et des contextes. Graduellement, l'approche théorique aristotélicienne des catégories (les types psychologiques) a été remplacée par l'approche de la théorie des champs [97] (les processus psychologiques) et on est passé des conceptions statiques de la structure à l'étude des processus jusqu'à ce qu'aujourd'hui 076 les chaînes de causalité réticulées, les systèmes circulaires et les interactions sociales constituent la préoccupation primordiale de la plupart des chercheurs.

Objectif des systèmes psychiatriques

Un cocktail d'idées qui proviennent de la médecine, de la psychanalyse, de l'action sociale, de la psychologie et de la médecine préventive se trouve à la base des conceptions théoriques actuelles du psychiatre. Alors que le psychologue ou le sociologue est en quête de théories qui rendent compte des multiples aspects du comportement humain, le psychiatre agit comme un concepteur à la recherche de théories qui expliqueraient ses interventions thérapeutiques. Parfois, cependant, le psychiatre est obligé d'agir sans faire appel à des théories complexes. Il agit alors intuitivement, tout à fait à la façon d'un administrateur habile qui, bien qu'il ne puisse expliciter ses projets à l'avance, s'engage simplement dans certaines opérations qui peuvent réussir ou pas. Le savoir qu'il possède, par conséquent, demeure non verbalisé et implicite dans ses actions. L'administrateur ne peut faire l'historique de ce qui s'est produit qu'après le déroulement de l'action. Le psychiatre se trouve très souvent dans cette même position.

Maintenant, au XXe siècle, le psychiatre tente de pallier cette difficulté. D'une part, il essaie d'accumuler un corpus d'informations et, d'autre part, il aspire à bâtir des théories globales [61; 93; 123], dans le but de donner à son approche intuitive et empirique un fondement plus rationnel. Alors que les systèmes scientifiques employés dans les sciences de la nature et en philosophie étaient conçus pour fournir une explication satisfaisante de l'information disponible à une époque donnée, les systèmes psychiatriques contemporains sont plus restrictifs: ils visent à expliquer le comportement déviant, les changements de comportement et les actes thérapeutiques plutôt qu'à inclure tous les faits connus sur le comportement humain. 077

Dans quelle position le psychiatre observe-t-il ?

L'élaboration de systèmes pour expliquer les événements psychopathologiques a été entreprise à la fois à partir de connaissances introspectives et d'informations obtenues par des observateurs qui examinent les gens de l'extérieur. Dans les systèmes psychiatriques, la position de l'observateur n'est donc pas toujours clairement définie. Tantôt le système est conçu pour expliquer les opinions de l'observateur extérieur, tantôt il sert à expliquer un même système de l'intérieur. Bien que des concepts comme celui d'«observateur-participant» aient été introduits pour souligner que la position du psychiatre est à la fois unique et changeante, nous montrerons dans un prochain chapitre que la théorie de la communication devrait bientôt aborder ce genre de problème d'une façon plus satisfaisante.

Structure et processus

Le développement de systèmes scientifiques adaptés aux buts de la psychiatrie pose des problèmes qui ont été encore compliqués parce que la description des processus comportementaux a, dans le passé, toujours abouti à l'élaboration de types psychologiques. Cet aspect particulier de la théorie psychiatrique peut être imputé au fait que le langage renvoie à des processus de courte durée comme si ceux-ci étaient éternels. Si quelqu'un, par exemple, déclare que «Johnny est un menteur», cet énoncé repose seulement sur le fait que Johnny a prononcé quelques phrases qui n'étaient pas vraies. A cause de ce bref dérapage verbal, on lui décerne le titre de menteur comme s'il mentait vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il est placé dans une catégorie, ou un type, et une seule observation peut fonder une telle généralisation portant sur ses traits de caractère. La phrase «Johnny est un menteur» véhicule une description d'un événement singulier qui s'est effectivement produit; mais cette même phrase décrit d'autres comportements virtuels de Johnny qui impliquent qu'il pourrait mentir à nouveau 078 ou qu'il ment la plupart du temps [75; 90; 117; 124].

Ces difficultés de description et de typologie viennent essentiellement de ce que nous pensons en termes de structure plutôt qu'en termes de processus. Structure et processus fournissent l'un et l'autre des méthodes au scientifique pour traiter l'information. En évaluant la structure des choses, un observateur réduit de nombreuses observations à quelques énoncés qui indiqueront les relations entre ces multiples facteurs à n'importe quel moment donné. Une formule structurelle vise donc à combiner autant de traits que possible en une seule unité; ce faisant, les changements temporels sont négligés. Inversement, les énoncés de processus permettent au scientifique d'observer ce qui évolue avec le temps. Pour obtenir ce résultat, il doit faire deux observations, sinon plus, sur un système d'événements pendant un certain temps. L'indication de processus fusionne alors en une seule et même unité les facteurs multiples observés à des moments différents. Pour décrire le comportement humain, notre langage quotidien a recours à des expressions qui renvoient tant aux structures qu'aux processus. Les énoncés de structures impliquent alors l'intégration de traits à un instant particulier et ils peuvent être exprimés par des diagrammes purement spatiaux, tandis que les énoncés relatifs aux processus impliquent l'intégration en continuité temporelle.

En s'intéressant tantôt à l'évaluation des structures, tantôt à celle des processus des événements, l'homme de science choisira les dimensions de son univers. La description structurale permet d'inclure de nombreux facteurs parce que l'on néglige les changements dans le temps. L'analyse des processus, quant à elle, exige une délimitation plus restreinte parce que de nombreuses observations doivent être répétées plusieurs fois [147].

Dimensions des systèmes psychiatriques

Toutefois, ce même intérêt pour les processus, qui oblige le scientifique à limiter les dimensions de son univers, éclaire également le caractère arbitraire de son choix. Un bref rappel des dimensions des univers scientifiques que rencontre le psychiatre 079 pourra illustrer ce point. Le psychiatre s'intéresse principalement à cinq dimensions:

Dimension I. L'unité prise en considération constitue une fonction partielle d'un individu: systèmes systémiques; systèmes organiques.

Dimension II. Un être humain dans sa totalité représente l'unité: système intrapersonnel du psychiatre [54; 163].

Dimension III. L'interaction de plusieurs individus est le centre d'intérêt: systèmes interpersonnels [120; 160].

Dimension IV. Le groupe est le noyau de l'organisation: systèmes anthropologiques de la communauté, de la famille, de la parenté, des groupes professionnels, etc. [14; 20; 92; 152].

Dimension V. Le centre d'intérêt est l'interaction de groupes: les systèmes sociaux étudiés par l'économie, l'écologie ou la science politique [110; 111].

La psychiatrie du XIXe siècle s'était essentiellement préoccupée de la dimension I, c'est-à-dire des fonctions partielles d'une personne considérée isolément; de questions comme l'émotion, l'intellect, la mémoire, l'humeur, les traits de caractère, les habitudes, aussi bien que ce qui a trait aux symptômes et aux syndromes. Au tournant du siècle, l'intérêt des psychiatres se déplaça de la dimension I à la dimension II et la structure intrapersonnelle passa au centre de leurs préoccupations. Vers le milieu du XXe siècle, la psychiatrie commença à se préoccuper moins des modèles structuraux de l'esprit ou de l'âme et à consacrer plus d'attention aux notions de processus. Au cours des deux dernières décennies, spécialement sous l'influence de l'École de psychiatrie de Washington [120], la dimension III, qui concerne les interactions des individus, a attiré l'attention. L'intérêt actuel des ingénieurs pour les problèmes de communication, des analystes pour les transferts et les contre-transferts, des sociologues pour les appartenances à des groupes, tout cela illustre bien la tendance de toutes les disciplines à dépasser les limites antérieures de leur domaine. La dimension IV, par exemple, a déjà pénétré la pensée psychiatrique en ce sens que la structure de la famille et d'autres types de relations groupales sont devenus des thèmes fondamentaux de l'hygiène mentale. Et certains domaines de la médecine et de l'action sociale appartiennent définitivement à la dimension V. 080

Le système de Freud

Nous devons maintenant mentionner les deux contributions sans doute les plus importantes de Freud à la psychiatrie: l'introduction de la notion de processus et la prise en considération de l'individu comme un tout. Freud, en prenant les psychiatres à rebrousse-poil, s'est heurté à ceux qui à son époque se focalisaient sur les structures; mais, aujourd'hui, la psychiatrie a finalement adopté ces notions de processus que les physiciens et les chimistes avaient admises longtemps auparavant. Pour interpréter les événements intrapersonnels, Freud proposait un système assez complet, attendu qu'il explique d'une manière satisfaisante la plupart des événements qui font partie de l'univers du psychiatre. Cependant, le système tripartite de Freud (le Ça, le Moi et le Surmoi) possède encore certaines caractéristiques linéaires; et des événements qui relèvent de l'interaction d'un individu avec d'autres et de sa participation à des événements sociaux plus importants ne sont pas étudiés d'une façon satisfaisante.

De même que Ptolémée postula que notre Terre était le centre du monde astrophysique, de même Freud plaça les processus intrapersonnels au centre de tous les événements. De nos jours, nous devons reconnaître qu'une telle position est intenable. Certes, nous admettons que, pour comprendre les processus intrapersonnels, le modèle freudien de l'appareil psychique est encore le système le plus complet dont nous disposions. Cependant, en raison de son caractère linéaire et de son relatif isolement par rapport aux autres systèmes, il ne suffit pas pour rendre compte de tout ce qui arrive entre les individus. Nous avons aujourd'hui besoin de systèmes explicatifs qui puissent englober à la fois ce qui arrive à l'individu, à plusieurs personnes et à des groupes plus importants [163].

La partie et le tout

Le centre d'intérêt du savant change [33; 34]: il s'arrête un instant sur un petit événement à l'intérieur d'une simple cellule; 081 le moment d'après, il étudie l'organisme dans lequel se trouve cette cellule. Cette mobilité soulève un problème dialectique. Les interventions du psychiatre l'obligent à fixer son attention sur l'individu en tant que totalité. L'information sur les fonctions partielles de l'être humain est ainsi abandonnée à des disciplines telles que la physiologie, la psychophysiologie et la pathologie, tandis que les connaissances sur la société globale sont délibérément déléguées à la sociologie, à l'anthropologie et à la psychologie sociale. Au sein des systèmes psychiatriques proprement dits, l'information sur les fonctions partielles d'un individu est appelée «organique» ou «somatique», et l'information sur les systèmes sociaux plus grands est regroupée sous le terme d'«environnement». Ces expressions sont des fourre-tout où l'on met les événements qui paraissent étrangers aux préoccupations de la psychiatrie. On souligne l'existence de ces événements, mais on n'en étudie pas le moindre détail. Le psychiatre ne peut cependant pas éviter de déplacer son centre d'intérêt. A un moment, il isole un événement unique - disons qu'il observe un tic du patient - et, l'instant d'après, il évalue ce tic dans la perspective de toute l'information qu'il possède sur le malade. Il peut aussi à un autre moment observer le patient comme un individu et l'instant d'après comme un membre d'une famille. C'est pourquoi il change constamment de dimension. C'est cet aspect particulier que nous avons appelé le problème de «la partie et du tout» [151].

Depuis environ dix ans, la prise de conscience de ce problème de la partie et du tout a suscité un changement d'attitude. Au cours des dernières années, les psychiatres, comme d'ailleurs tous les spécialistes en sciences humaines, ont réalisé que, pour comprendre l'individu, il faut combiner l'information sur les divers systèmes comportementaux et sociaux. Ce point de vue est déjà en train de gagner du terrain, mais des difficultés dialectiques se présentent à nouveau quand les spécialistes essaient de transposer des informations formulées selon la terminologie d'un système à un autre système plus vaste ou plus petit - par exemple du social à l'individuel ou vice versa. Chaque système a son propre langage et c'est pourquoi il a fallu dans les discussions scientifiques et interdisciplinaires supporter la multiplicité des langages de ces divers systèmes. Fréquemment, les mêmes événements ont été désignés par de 082 multiples noms et ces désignations polyglottes ont encore accru la confusion.

Une théorie unifiée du champ serait nécessaire: elle permettrait aux scientifiques d'employer une terminologie homogène et par conséquent d'éliminer les difficultés dialectiques qui apparaissent quand les dimensions de l'univers scientifique changent. Nous espérons contribuer à une meilleure compréhension des relations entre les divers univers scientifiques. Nous proposons d'englober en un seul système les aspects communicationnels des événements (voir le chapitre XI) et remédier ainsi aux sempiternelles discussions concernant la délimitation d'entités telles que la société, le groupe, l'individu, l'organe et les cellules.

Les variables dans les systèmes psychiatriques

Nous nous sommes jusqu'ici intéressés aux principes les plus abstraits qui gouvernent la pensée psychiatrique. Nous allons maintenant redescendre l'échelle de complexité et nous attacher aux variables qui régissent cette pensée. Examinons d'abord les thèmes des écrits et des discours des psychiatres et nous en extrairons les ingrédients ou les éléments des systèmes psychiatriques. Étant donné que Murphy [121], Nicole [122] et Janet [83; 84] ont excellemment traité des divers points de vue, approches et systèmes des psychiatres, nous nous abstiendrons de répéter ce qui est déjà connu. Le lecteur familier de ce domaine comprendra que, pour plus de commodité, les questions en psychiatrie peuvent être réparties en cinq grands groupes. Ces groupements, ou thèmes, reflètent non seulement les événements observés mais également la façon dont le psychiatre gère l'information qu'il a acquise. Son centre d'intérêt, ses attitudes et ses points de vue se révèlent dans les orientations de ses conférences et de ses écrits. Ces orientations varient non seulement suivant les psychiatres mais elles font naître également des courants et des méthodes à la mode pour les futures générations. Jusqu'à maintenant, lorsque les psychiatres ont émis une opinion scientifique, ils ont eu tendance à maximiser un ou plusieurs des caractères suivants.

Premier cas. Le psychiatre travaille avec des variables génétiquement 083 déterminées qui indiquent diverses évolutions futures ou potentialités chez les êtres humains. Elles sont regroupées sous des catégories telles que l'hérédité, la constitution et l'homéostasie et elles semblent échapper à tout contrôle individuel. S'il adopte cette perspective prédéterministe le psychiatre exagère alors les déterminants de la structure organique.

Deuxième cas. Le psychiatre emploie des variables biologiquement déterminées qui fournissent des indications sur les causes immédiates et hypothétiques du comportement manifeste chez les êtres humains. L'individu n'est pas jugé capable de changer ces forces qui dépendent des instincts, des pulsions, des besoins, et du «Ça». Cependant, cette vision, qui maximise l'influence des forces animales chez l'être humain, présume qu'il existe d'autres forces qui peuvent contrecarrer, renforcer ou écarter les effets de ces besoins primitifs.

Troisième cas. Le psychiatre suppose l'existence de forces qui s'opposent aux tendances animales de l'être humain. Ces caractéristiques apprises, complexes, déterminées par l'expérience, exercent une influence stabilisante et s'opposent aux forces animales, instables et souvent asociales, inhérentes aux êtres humains. Ces traits humains, on les a appelés attitudes, intérêts, aspirations, volonté de puissance, raison, «idéal du Moi» ou «Surmoi».

Quatrième cas. Le psychiatre fait appel à des variables censées satisfaire les divers besoins de l'individu. On les range dans des rubriques telles qu'émotions, sentiments, humeurs, souvenirs, capacités, talents, actions instrumentales, réactions, instrumentations, ou «moi». Ces forces sont au service des besoins charnels et spirituels - c'est-à-dire animaux et humains - de l'individu. Les psychiatres qui maximalisent ces variables s'intéressent surtout aux déterminants effecteurs.

Cinquième cas. On trouve toutes les variables déterminées par les réalités, par la culture, et imposées par le milieu environnant. Ces déterminants de l'environnement, y compris tous les facteurs sociaux et économiques, le psychiatre s'en sert comme d'une toile de fond par rapport à laquelle il explique certains événements inexplicables à tout autre niveau.

La multiplicité des variables au sein des systèmes psychiatriques s'explique par au moins trois facteurs: l'histoire et la tradition; les disciplines scientifiques dont provient l'information; et les interventions thérapeutiques du psychiatre. Dans 084 l'ensemble, la pensée du psychiatre tourne autour de considérations psychologiques et philosophiques sur des événements biologiques. Il s'intéresse à la vie et à la mort, à la finalité des choses, aux limitations de l'être humain, aux déterminations du comportement humain, à la maîtrise des fonctions biologiques, etc. Alors, nous réalisons que le psychiatre a puisé dans les sciences de la nature, la biologie, les humanités et la religion. Sur le plan rationnel, toutefois, les systèmes psychiatriques n'ont pas beaucoup de sens. Ils constituent avant tout des musées anthropologiques et historiques qui conservent les opinions philosophiques, psychologiques et religieuses des siècles passés.

Les processus que décrivent les systèmes psychiatriques

Nous ne rencontrons pas plus de cohérence si nous essayons de préciser les processus de la vie auxquels s'intéressent les psychiatres. Le lecteur ne sera pas surpris de constater que les conceptions des psychiatres sont constituées par un mélange composite de considérations biologiques, psychologiques et sociales. On trouve un dénominateur commun à cette diversité dans le fait que l'être humain est un organisme biologique caractérisé par un cycle de vie et par un comportement finalisé. Dans son étude du cycle de vie des organismes, le psychiatre a dégagé un ensemble de variables que l'on situe sur une échelle allant de la progression à la régression. La progression, ici, désignerait le développement de potentialités inhérentes à l'organisme jusqu'à ce que soit atteint un fonctionnement optimal, tandis que la régression comprendrait tous les processus qui mènent au déclin final. La croissance, l'apprentissage, le conditionnement, la maturation et l'intégration seraient des exemples de processus de progression, tandis que des rubriques comme déclin, détérioration, sénescence illustreraient les processus de régression. Il est intéressant de remarquer qu'une partie du système psychologique de Freud est construite à partir de cette notion de progression - régression. Il a non seulement identifié une tendance générale, mais il a introduit également l'idée de périodes de régression de courte durée au sein d'un cycle de progression continue. Il est largement admis de nos jours que, 085 lors des périodes de stress, l'individu tend parfois à régresser en ayant à nouveau recours aux instruments et moyens de gratification qui étaient employés à une période antérieure de développement. Il semble que les notions de progression et de régression en psychiatrie aient correspondu à l'intérêt du XIXe siècle pour l'évolution et à l'intérêt du XXe siècle pour les phénomènes de périodicité.

Ce sont probablement les conceptions des physiologistes sur l'homéostasie et tous ces concepts liés aux mécanismes de stabilisation des états physiologiques qui ont profondément influencé les psychiatres. Et, après avoir accepté ces concepts biologiques modernes, les psychiatres ont dû développer des concepts psychologiques correspondant en quelque sorte aux conceptions dominantes dans les autres sciences naturelles. Nous ne sommes donc pas surpris que les psychiatres aient créé des concepts psychologiques calqués pratiquement sur les processus physiques de métabolisme, de stockage de l'énergie, et d'élimination des déchets. Les concepts freudiens d'oralité et d'analité et les raffinements introduits ultérieurement [1; 52] visaient à adapter les processus psychologiques pour qu'ils soient conformes aux conceptions de la physiologie. D'une certaine façon, on brutalisa les événements psychiques en les traitant comme des événements physiques ou chimiques. C'est ainsi qu'un psychanalyste parle d'incorporation, de rétention et de décharge; il a recours à des analogies physiologiques avec l'ingestion et la digestion de nourriture pour expliquer des mécanismes aussi compliqués que le conditionnement, la rétention d'impressions sensorielles ou les actes volontaires. En employant ce genre d'analogies, les psychanalystes suivaient la mode du XIXe siècle qui étudiait le fonctionnement somatique en disséquant les organes; ils analysaient les systèmes séparément comme s'ils existaient indépendamment des autres fonctions. Il est bon de rappeler qu'à l'autopsie un cerveau ne représente pas du tout la même chose que lorsque le système nerveux fait partie de l'organisme vivant. Et il faut se souvenir également que le bébé réagit déjà comme un organisme complet dans lequel toutes les fonctions sont sans arrêt subordonnées à la tâche principale. De nos jours, la plupart des scientifiques regardent d'un œil désapprobateur ceux qui tentent de diviser l'organisme en fonctions partielles. Les vieilles tentatives de 086 dissection de la psychologie de l'individu ont heureusement été abandonnées.

Les problèmes d'entretien du corps, d'homéostasie et d'autres analogies psychologiques expliquent probablement l'intérêt du psychiatre pour le problème de l'interférence. On a écrit des volumes sur la nature de l'agression et sur la question de savoir si les actes agressifs sont issus d'un instinct primaire ou s'ils représentent une réponse à une interférence de l'extérieur [48]. Quoi qu'il en soit, l'existence de l'interférence ne peut pas être niée. Nous savons tous que l'organisme est équipé pour répondre de différentes façons à des événements menaçants. Lorsqu'il perçoit un stimulus étrange ou menaçant, l'organisme a une réaction d'alerte. Des processus musculaires, vasculaires, psychologiques et chimiques se déclenchent; ils permettent à l'organisme d'agir et de soutenir un effort maximal pendant une période de temps limitée [146; 148]. En fonction de la situation, on peut décrire la réaction d'alarme de l'individu comme étant de la colère, de la peur, ou de l'anxiété. Si la colère se développe, la réaction d'alarme sera employée pour lutter; si c'est de la peur, pour esquiver et s'enfuir; si ces deux types d'action sont entravés, l'anxiété se développera. La honte, la culpabilité et la dépression accompagnent la réponse de l'individu à l'alarme qui constituait elle-même une réponse aux stimuli qui proviennent de l'intérieur de l'individu lui-même.

Des réactions à des stimuli qui interfèrent de l'extérieur ou de l'intérieur peuvent, dans certains cas critiques, prendre des proportions qui ne perturbent pas seulement le fonctionnement d'un individu particulier mais également celui du groupe dont il est membre. Les «dépressions nerveuses» aiguës, les états de tension et les phénomènes de colère, de peur, d'angoisse, de honte, de culpabilité et de dépression constituent les principaux sujets de préoccupation des psychiatres [138]. Ces termes désignent surtout des symptômes qui se développent quand une crise survient dans le système de communication du patient. Cependant, la plupart des théories psychiatriques tentent d'expliquer ces phénomènes en fonction de l'individu uniquement. Elles ne prennent pas en compte d'autres personnes ou la matrice sociale au sein de laquelle vit l'individu et où ces événements se produisent. C'est là que réside le point faible le plus évident de la théorie psychiatrique contemporaine. De même, la tendance 087 à fractionner le fonctionnement des individus en mécanismes représente une grande faiblesse de la psychiatrie théorique. Quand le psychiatre se réfère à l'identification, à la projection, à la sublimation, à la formation réactionnelle, etc., il fournit des indications sur son centre d'intérêt, plutôt que sur ce qui se passe chez un autre individu. Ces mécanismes ne constituent pas des unités de comportement séparables que l'on pourrait légitimement employer pour expliquer ce qui se passe. La référence à l'un de ces mécanismes révèle plutôt certains traits de la focalisation momentanée des perceptions du psychiatre. Si le lecteur veut bien prendre la peine de réfléchir à la signification de l'un de ces «mécanismes», il découvrira bientôt que, pour comprendre et expliquer n'importe lequel d'entre eux, on a besoin de tous les autres mécanismes. Le mot «mécanisme» est, en fait, une mauvaise dénomination. «Projection», «identification», etc., sont des éléments du fonctionnement d'un individu total perçu et disséqué par un autre individu (l'«homme de l'art»). Un diagramme représentant ces éléments ne ressemblerait pas à un bloc-diagramme des pièces détachables existant à l'intérieur d'un seul individu, isolé; il s'agirait plutôt d'un organigramme dans lequel les unités incarneraient des «fonctions» ou des «processus». Qui plus est, cet organigramme représenterait non pas un seul individu mais deux personnes en interaction.

Postulats généraux des théories psychiatriques

Pour mieux comprendre la nature des théories psychiatriques actuelles, nous allons essayer de ramener tous les concepts psychiatriques à cinq prémisses. La première est liée aux concepts de normalité et de pathologie, la seconde au concept de polarité, et la troisième à la recherche constante de causes; la quatrième représente la tendance du psychiatre à relier les comportements passagers à une gamme de comportements plus durables et la cinquième se rattache aux attitudes relativistes du psychiatre.

Bien qu'il serait absurde de prétendre que ces prémisses sont les seules utilisées par les psychiatres, il n'en semble pas moins que les choses se passent comme si tous les discours des psychiatres avaient certains points communs, surtout ceux qui décrivent 088 le comportement humain. On peut trouver et vérifier les données dont nous avons extrait ces prémisses dans n'importe quel manuel de psychiatrie et dans n'importe quelle conférence donnée par un psychiatre.

Pour répertorier les données scientifiques, le psychiatre a recours, entre autres principes, au concept de pathologie. Implicitement, il classe les phénomènes observés selon leur déviation par rapport à la norme. Dans ce cas, le concept de pathologie possède une signification statistique qui révèle une préoccupation pour des événements peu fréquents qualifiés pour cette raison de pathologiques.

Un deuxième cas peut se présenter: la pathologie définit alors une déviation par rapport à un état idéal, désirable ou optimal de fonctionnement, quelle qu'en soit la fréquence statistique. Cette deuxième acception provient de l'usage médical. Le psychiatre, qui, par formation et par vocation, est un médecin, inconsciemment - et quelquefois consciemment -, évalue un patient en termes de fonctionnement effectif, à la fois physique et mental; il compare alors ses observations avec le niveau auquel le patient pourrait parvenir dans des circonstances optimales. Les constatations médicales ou psychiatriques qui dévient notablement de cet optimum sont alors cataloguées comme pathologiques.

On rencontre une troisième signification du concept de pathologie quand le psychiatre compare les symptômes et les signes cliniques de ses patients avec ceux d'entités nosographiques connues et établies; ce processus de confrontation de découvertes individuelles avec les certitudes de la pathologie traditionnelle est employé au cours des procédures de diagnostic.

Les théories des psychiatres sur la psychologie, la personnalité et la psychopathologie reposent toutes essentiellement sur le concept de troubles fonctionnels (ou pathologie). Mais, étant donné que les psychiatres eux-mêmes ne possèdent pas une notion suffisamment claire de la normalité, une question se pose: «Le concept de norme ne s'oppose-t-il pas aux concepts d'ajustement individuel et d'adaptation, et ne les contredit-il pas ?» Quoi qu'il en soit, une partie de la confusion actuelle en psychiatrie provient manifestement de ce que la notion de normalité est insuffisamment clarifiée et peut-être improprement utilisée. Pour éviter les difficultés liées à la façon traditionnelle 089 de classer les événements psychopathologiques, certains psychiatres ont introduit l'idée que chaque individu est unique: les notions de normalité et de déviance ne seraient pas applicables et il faudrait plutôt recourir à une notion de cohérence interne. Si cela était complètement vrai, toutefois, la formation en psychiatrie et en psychothérapie serait futile parce qu'il nous faudrait supposer qu'aucune généralisation ne peut être élaborée puisque chaque cas est totalement différent du suivant. Cependant, le fait que les psychiatres peuvent recevoir une formation parle en faveur du contraire [11]. C'est pourquoi nous devons présumer que tous les thérapeutes travaillent avec une certaine idée de la normalité qui leur permet d'effectuer des généralisations, même si certains le nient avec véhémence. Peut-être nous faudrait-il penser la normalité à un niveau d'abstraction plus élevé que celui accepté habituellement. Sans risque de se tromper, on peut affirmer que les similarités biologiques et psychologiques de l'homme sont plus grandes que ses différences. On connaît bien les nécessités physiologiques et psychologiques minimales compatibles avec la santé ainsi que les limites maximales des efforts que peuvent faire les humains. À l'intérieur de ces limites, on peut donc procéder à des généralisations et, dans ce contexte, les prédictions concernant le comportement humain sont fiables.

Pour comprendre la pensée du psychiatre, il faut ne pas oublier que ses activités quotidiennes gravitent autour des anomalies mentales et que le souci de la normalité psychologique se situe à la périphérie de ses préoccupations. Suivant les épreuves diagnostiques des psychiatres, un patient ne peut être qualifié de normal qu'en l'absence de traits «pathologiques». Le diagnostic de normalité s'effectue par exclusion et, si un psychiatre peut qualifier un trait, celui-ci est par implication pathologique et indésirable. Tout ce qui a donc reçu une dénomination est implicitement anormal; et, au sein de la nomenclature psychiatrique actuelle des diagnostics, les syndromes, symptômes, signes cliniques, mécanismes, habitudes, etc. révèlent clairement cet état de choses. Du fait que le psychiatre se concentre sur les déviations et qu'il n'a que peu ou pas suivi une formation de psychologue, il tend à construire une norme hypothétique en établissant une moyenne de ce qui est précisément à l'opposé des traits qu'il observe chez ses patients. En thérapie, une norme hypothétique 090 construite de cette façon fonctionne de manière très satisfaisante. Indirectement et implicitement, le psychiatre exerce une pression considérable sur les patients pour qu'ils se concentrent sur leurs traits anormaux. Isoler ainsi des traits anormaux sur un fond hypothétique de normalité et de santé procure à la psychothérapie un but et une orientation. Il suffit de mentionner ici des concepts tels que la maturité et la régression, le principe de plaisir et le principe de réalité pour illustrer notre propos.

La nature de la pathologie implique l'existence d'un concept de santé et toute la pensée médicale et psychiatrique s'oriente vers l'assistance au patient pour qu'il parvienne à guérir. La santé mentale se définit évidemment en fonction de la culture au sein de laquelle vivent le patient et le thérapeute. Le concept de santé est une sorte d'hypothèse structurelle qui décrit une série de conditions favorables aux processus qui assurent le fonctionnement optimal d'un individu. Le concept de maladie, au contraire, marque une déviation par rapport au fonctionnement optimal, provoquée par l'intrusion d'un certain nombre de processus réversibles ou irréversibles. Attendu que, dans chaque culture, la santé est définie en fonction des processus physiques et mentaux acceptés par le système au pouvoir, on pourra dégager la conception américaine de la santé à partir de ce que nous dirons de la culture américaine en général. L'aptitude à la compétition, la capacité de saisir les opportunités que l'égalité fournit à l'individu et la capacité de réussir définissent le véritable sens de la vie aux États-Unis. Pour accéder à ce niveau, un citoyen américain doit être fort, avoir confiance en lui, être indépendant, en bonne santé physique, à l'aise en société, prêt à faire face aux difficultés imprévues, capable de prendre soin de ses enfants et de sa famille et ne pas être un poids pour la communauté. L'individu en bonne santé est censé employer à son propre profit le pouvoir dont il dispose mais avec mesure et sagesse.

La santé est une notion très populaire aux États-Unis. Il y a le Département de la santé publique des États-Unis, les services de santé des États, des comtés et des municipalités, ainsi que toutes sortes de ligues qui combattent des maladies spécifiques et s'occupent de la réinsertion des invalides. Chaque citoyen est conscient que la propreté et l'hygiène sont nécessaires au bien-vivre 091 et l'éducation qui commence au foyer est complétée et renforcée par l'enseignement ultérieur à l'école; l'enfant apprend que les soins corporels et dentaires, une nourriture équilibrée et le bon air constituent des conditions nécessaires pour entrer dans la compétition de la vie et y réussir. Dans cette ambiance d'hygiène, la psychothérapie peut naturellement prospérer, mais le public attend de la psychothérapie plus ou moins ce qu'il attend des soins dentaires. La psychiatrie doit fournir à la fois un programme de prévention, un ensemble de formules pour faire face aux urgences, des directives générales pour la vie courante et des facilités administratives pour ceux qui ne peuvent pas suivre la course. Il n'est donc pas surprenant de constater que, dans tous les pays, les théories médicales et les théories psychiatriques subissent l'influence des efforts que font les thérapeutes pour promouvoir la santé. Les scientifiques purs (et non les thérapeutes) élaborent des théories du comportement humain insuffisantes pour comprendre les troubles fonctionnels au cours des interventions thérapeutiques. Par contre, la personne qui veut aider le malade élabore des concepts pathologiques qui sont utiles aux méthodes de traitement. Quand le psychiatre parle de comportement anormal, un observateur neutre croit parfois que le psychiatre est un pur scientifique: son champ d'investigation et son objectif semblent limités à acquérir de l'information et n'avoir d'autre fin. Cela n'est toutefois qu'à moitié vrai parce que le psychiatre désire employer l'information dans certaines interventions. Ces deux facettes du psychiatre - le chercheur et le praticien - ont toujours intrigué les observateurs venus des sciences pures, et la plupart des critiques adressées à la psychiatrie proviennent d'une incompréhension des objectifs du psychiatre.

L'élaboration d'une norme hypothétique dans l'esprit du psychiatre ou, d'autre part, l'affirmation qu'un trait est anormal et doit être soigné, introduisent un autre concept scientifique, celui de polarité. Des variables bipolaires (intelligent ou stupide, conscient ou inconscient, adulte ou immature, réaliste ou imaginatif, gratifiant ou frustrant, etc.) expriment un système de pensée linéaire dans lequel deux pôles marquent deux extrêmes, le milieu étant la norme. Parfois l'un des pôles indique une déviation et l'autre la norme. Par exemple, les termes «abstinent» et «alcoolique» signalent les deux extrêmes, tandis que «tempérant» 092 désigne la norme et «intempérant» la déviation pathologique.

Dans tous les systèmes psychiatriques, on utilise largement des concepts à polarités et il est bon de se rappeler que la médecine est fondée sur la dichotomie santé/maladie. Le principe de pathologie, tout autant que le principe de polarité, est subordonné au fait que la guérison est impensable si l'on n'a pas quelques jugements de valeur sur la santé et la maladie. L'activité du psychiatre étant avant tout consacrée à l'amélioration de la santé mentale plutôt qu'à la collecte d'informations, il lui faut nécessairement classer les événements utiles et inutiles. Les codes éthiques de la conduite humaine découlent rarement d'une accumulation d'informations scientifiques, mais résultent de pressions exercées par des groupes religieux, politiques ou autres qui défendent des normes de comportement.

La maladie est définie culturellement, et la société offre aussi une solution institutionnelle à ceux qui sont malades. Dans toutes les cultures, il existe des explications de la maladie; dans la nôtre, l'explication est du ressort des médecins qui recherchent les causes de la pathologie. Les théories de la causalité, développées auparavant par les psychiatres, étaient généralement dominées par la superstition ou la conception physiologiste et mécaniste. Essayant d'expliquer les causes de la maladie mentale, divers courants, qui considéraient que la maladie mentale provenait d'un ensorcellement ou bien d'une infection microbienne, ont eu leur heure de gloire.

Depuis une centaine d'années, la conception médicale de l'étio-logie, qui recherchait les causes immédiates de la maladie ou de la perturbation d'une fonction, a prévalu en général en psychiatrie. Les médecins avaient tendance à poser la question «Pourquoi ?», qui nous vient essentiellement de la méthodologie aristotélicienne, plutôt que «Comment ?», qui vient des approches modernes de la théorie des champs. Dans l'optique d'Aristote ou de la théorie des classes, les choses ont été réparties en catégories: le lecteur n'est que trop familier avec le système de classement de Kraepelin en psychiatrie [91] pour avoir besoin d'autres exemples. La réponse au «Pourquoi ?» revenait à chercher une cause qui expliquerait l'existence de telle ou telle classe de maladie. Par contre, l'approche de la théorie des champs aborde les relations fonctionnelles entre un système d'événements 093 et le champ dans lequel ils se produisent; appliquée au comportement humain, elle impliquerait que l'on se préoccupe de la relation d'un individu avec son environnement. Alors que l'approche de la théorie des classes présuppose des chaînes ou des systèmes de causalité linéaires, ramifiants ou convergents, l'approche par la théorie des champs s'intéresse aux systèmes circulaires et aux mécanismes antorégulateurs [97; 180].

De nos jours, on se demande comment une chose fonctionne à l'intérieur d'un système donné, alors que, auparavant, on s'occupait de savoir pourquoi un tel système était apparu. En psychiatrie, l'ancienne approche exerce encore une puissante influence. Par exemple, certains croient que, si l'on pouvait trouver un certain «facteur X» responsable d'une entité nosologique déterminée, telle que la schizophrénie, on pourrait la guérir. Le caractère fallacieux d'un tel raisonnement est évident. Soulever la question de la cause de la schizophrénie présuppose que certains traits comportementaux peuvent être classés, isolés et localisés et que la cause hypothétique peut, aussi, être isolée et reliée à l'entité pathologique. Si l'on raisonne ainsi, on ne considère pas l'organisme comme un tout; au contraire, on le fait éclater en fonctions partielles. Il existe en psychothérapie une tendance à rendre des événements particuliers - tels que des expériences traumatisantes durant l'enfance - responsables du comportement ultérieur. La pensée causale et la pensée linéaire se retrouvent également dans des courants à la mode en psychanalyse qui vont de la «scène primitive» au «complexe de castration» en passant par la «répression de l'agressivité». Cette orientation de la théorie psychiatrique, qui s'enracine puissamment dans le XIXe siècle, cédera probablement la place, un jour, à des conceptions plus modernes. Aujourd'hui on pense que, chaque fois qu'un facteur change, tous les autres facteurs doivent également changer; en conséquence, si l'on observe des mécanismes d'homéostasie de l'organisme, par exemple sous la forme de modèles de comportement stabilisés, il est généralement impossible d'isoler des causes uniques directement responsables de l'état actuel. Au mieux, on peut préciser les conditions antérieures et les conditions actuelles, sans réussir à explorer la relation entre des causes et des effets multiples. Les conceptions théoriques du psychiatre contemporain doivent tenir compte d'une multitude de faits; le psychiatre doit réaliser que 094 l'individu qu'il est en train d'étudier et lui-même ne sont que de tout petits rouages de systèmes suprapersonnels plus vastes et que les théories de la causalité établies en psychiatrie ne sont en général valables que dans le cadre d'analyses très limitées, de situations spéciales, et si l'on délimite l'univers scientifique de façon très restreinte.

En dernière analyse, quand le psychiatre s'interroge sur la cause d'un état pathologique, il révèle sa tendance à isoler un événement comportemental unique et à le rapprocher de tout l'arrière-plan d'information qu'il possède sur un individu. S'il observe un patient au cours d'un entretien et pendant un bref laps de temps, il ne considère pas ce patient uniquement en fonction de son examen ponctuel. Pour mener à bien la thérapie, le psychiatre souhaite parvenir à comprendre globalement la personnalité du patient; il essaie donc de construire dans son propre esprit un modèle réduit de la vie entière du patient afin de situer dans un cadre plus large les observations qu'il réalise à ce moment. Par exemple, si le patient fume une cigarette, le psychiatre souhaitera se renseigner sur le moment où ce patient a fumé sa première cigarette et savoir si sa mère lui donnait une sucette quand les grandes personnes fumaient au salon; il pourrait même remonter à l'époque où le biberon ou le sein satisfaisaient les besoins oraux du bébé. C'est ainsi qu'un psychiatre rapproche un acte isolé du présent avec un arrière-plan de déductions sur le comportement global de cette personne. A ce s point, il est bon de se rappeler que n'importe quel témoin se trouvant présent peut observer un acte isolé ou une série d'actions, mais que l'ensemble du comportement, par exemple au cours des vingt dernières années, n'existe que sous la forme d'informations qui condensent en un seul moment l'enchaînement d'événements qui couvre toute une période. En psychiatrie, les théories de la causalité mettent un événement extérieur ponctuel en équation avec toute une gamme d'informations présente dans l'esprit de l'observateur. En physique, on relie deux événements extérieurs à une gamme d'informations présente dans l'esprit de l'observateur. En psychiatrie, nous devons donc confronter la partie avec l'arrière-plan d'un tout. Nos limitations biologiques en tant qu'êtres humains (c'est-à-dire notre équipement pour la réception et la transmission de messages) déterminent la partie; la totalité est définie par notre capacité de conceptualisation. 095 Nous qualifions ce problème de dialectique essentiellement parce qu'il est lié aux particularités de l'observateur plutôt qu'il n'est structuré par la nature des événements observés [151].

Le psychiatre qui désire établir des théories de la causalité valables doit affronter aussi les particularités de sa propre personnalité et le rôle qui l'amène à maîtriser une situation sociale. Un énoncé verbal perçu par un observateur peut être interprété de différentes façons. Par exemple, un esprit rigide ou formaliste pourrait se limiter à des interprétations purement syntaxiques ou sémantiques et omettre toute considération pragmatique. A l'opposé, une personne qui s'intéresse à la psychologie écoutera le même énoncé en essayant de détecter les valeurs implicites du locuteur. Une personne de bon sens, orientée vers la politique, pensera que le même énoncé exprime le sentiment général de la population et ne s'occupera guère de l'individu particulier qui a émis cette opinion. Ainsi, le formaliste agit avant tout en observateur, le psychologue en participant, et le politique, même s'il prétend qu'il participe, est en réalité en train de manipuler, de faire campagne et d'observer les effets de ses actes. Le psychiatre, qui veut comprendre et soigner, adopte tour à tour chacune de ces trois attitudes; dans son rôle de thérapeute, non seulement il change de position comme participant et comme observateur mais il permute également les niveaux d'abstraction en émettant et en recevant des messages. Par exemple, quand le psychiatre parle de «castration», plusieurs significations sont véhiculées. D'abord, le sens littéral d'une amputation dans la région génitale. Ensuite, une atteinte à tous les symboles de la virilité. Troisièmement, la restriction de la liberté et de l'indépendance qui sont nécessaires aux préliminaires d'un rapport sexuel. Et, enfin, au plus haut niveau d'abstraction, il peut employer «castration» pour faire référence à toute abjuration forcée d'une idée ou d'un droit qui, indirectement, peut influer sur les fonctions génitales. En fait, les variables psychiatriques appartiennent simultanément à différents niveaux d'abstraction, et seule une fréquentation prolongée du milieu psychiatrique peut permettre à un non-initié de reconnaître tous les signaux qui indiquent le niveau particulier d'abstraction auquel on doit interpréter le message.

La polysémie du vocabulaire psychiatrique est extrêmement utile en thérapie. Elle permet au psychiatre de passer d'observations plus limitées à des réflexions plus générales et cela accroît 096 la lucidité du patient par rapport à ses propres actions et à celles des autres. Elle exerce donc une influence intégrative sur le patient. Toutefois, de telles significations élastiques et multiples des mots ne se prêtent évidemment ni à des définitions précises ni par conséquent au développement de théories de la causalité.

Cela nous amène à un dernier aspect fondamental de la pensée psychiatrique, le relativisme du psychiatre. Sa tolérance et sa permissivité au cours de la thérapie l'obligent à s'abstenir d'exprimer ouvertement des jugements de valeur. Toutefois, cette position est en quelque sorte intenable en dehors de la situation thérapeutique si l'on pense que certaines choses, méthodes ou approches conviennent mieux que d'autres à la poursuite d'un objectif donné. Par exemple, nous savons tous que certains pneumatiques durent plus longtemps que d'autres; qu'en agriculture certains procédés produisent un meilleur lait; qu'il existe aussi des techniques et des modèles sociaux qui, mieux que d'autres, procurent plus de satisfaction à la majorité des gens. Et personne ne contestera que la paix, les attitudes constructives et l'assurance d'un niveau de vie satisfaisant sont préférables à la guerre, la destruction brutale et la famine. Nul doute aussi que certaines méthodes soient préférables à d'autres; mais, en dépit de cette évidence, le psychiatre s'abstient généralement d'émettre des jugements et agit strictement comme un historien. Il s'en tient aux faits et aide le patient à tirer les conclusions nécessaires des événements passés; pour lui, toute démarche entreprise est acceptable et valable si elle réussit. Qu'une certaine approche fonctionne pour un individu particulier ne signifie pas nécessairement que le modèle en tant que tel soit supérieur à n'importe quel autre; cela signifie seulement que, dans un certain contexte limité, un modèle spécifique s'est révélé bénéfique.

Le relativisme pragmatique du psychiatre et sa réserve envers les valeurs absolues coïncident avec l'air du temps. Les gens semblent avoir perdu le talent d'affirmer des options théoriques et de défendre des positions définitives. Au lieu de cela, ils font des choix pragmatiques en fonction d'objectifs spécifiques, et nous montrerons plus loin que la prémisse américaine de l'égalité a largement contribué à la diffusion et à l'acceptation d'un tel pragmatisme.

La confusion entre l'égalité théorique et l'égalité pragmatique avait été perçue par Abraham Lincoln quand il avait affirmé: 097 «Je crois que les auteurs de la Déclaration d'Indépendance pensaient qu'elle avait une valeur universelle, mais ils n'avaient pas l'intention de proclamer que les hommes étaient égaux à tous les égards».

Aujourd'hui, la psychiatrie et le peuple américain semblent considérer que tous les hommes sont nés avec les mêmes possibilités et que les différences entre eux proviennent avant tout des variations de l'environnement et de la chance. Quoi qu'il en soit, dans un contexte de relativisme et de pragmatisme, on met de côté la théorie quand on ne peut la transcrire immédiatement en actes. Le psychiatre américain dirige ses efforts plutôt vers la réussite de la thérapie que vers la compréhension des processus thérapeutiques.

Toutes les théories scientifiques sont bien sûr œuvre humaine: les scientifiques qui les produisent vivent dans un pays donné, à une certaine époque, et ils subissent l'influence de leurs contemporains. Toute théorie scientifique reflète donc, à sa façon, la culture au sein de laquelle elle voit le jour. Le système de signaux et d'indices fournis par cette culture pour permettre aux gens de se comprendre les uns les autres est nécessairement utilisé par le théoricien quand il élabore et expose sa théorie; et c'est pourquoi une théorie ne peut se comprendre entièrement qu'après avoir étudié ce système de signaux.

De plus, la culture intervient à nouveau dans la formation de la théorie psychiatrique parce que les objectifs du psychiatre sont déterminés culturellement. Les conceptions et l'évaluation de la santé et de la maladie qui président aux interventions (et par conséquent aux points de vue) des psychiatres diffèrent d'une culture à l'autre.

Jusqu'ici nous avons exposé quelques-unes des difficultés théoriques et pratiques de la psychiatrie. Nous avons attiré l'attention sur les conditions impératives pour l'élaboration d'un système psychiatrique: il faut que ce soit un système circulaire, qu'il possède des caractéristiques autocorrectives, qu'il apporte une solution satisfaisante au problème fonctionnel de la partie et du tout et qu'il définisse clairement la position de l'observateur, et son influence sur ce qui est observé (et vice versa).

Dans les paragraphes qui suivent, nous exposerons que ces conditions sont remplies si l'on conçoit et explique les événements psychiatriques grâce à un système de communication. Nous étudierons 098 comment un tel système aide à comprendre les événements en psychiatrie et la formulation de techniques thérapeutiques; et nous verrons également comment ceci contribue à combler le fossé qui sépare la psychiatrie d'autres disciplines des sciences humaines.

TROUBLES DE LA COMMUNICATION ET PSYCHOTHÉRAPIE

La psychopathologie se définit en termes de perturbations de la communication. Cette formulation peut paraître surprenante, mais, si le lecteur veut bien prendre la peine d'ouvrir un manuel de psychiatrie et de lire ce qui concerne la psychose maniacodépressive ou la schizophrénie, par exemple, il trouvera probablement des termes tels qu'«illusions», «délires», «hallucinations», «fuite des idées», «dissociation», «retard mental», «exaltation», «mutisme», et beaucoup d'autres qui renvoient spécifiquement à des troubles de la communication; ils impliquent, soit que la perception est déformée, soit que l'expression - c'est-à-dire la transmission - est inintelligible.

Les psychiatres qui se consacrent à la psychothérapie croient que les patients qui souffrent de psychopathologie ne peuvent se rétablir que dans une situation sociale déterminée; ils pensent que le contact avec des êtres humains est une nécessité thérapeutique. Si l'on tente d'analyser les événements qui interviennent au sein d'une situation sociale, l'interaction entre le patient et le médecin, et les efforts pour influencer le patient au moyen de la psychothérapie, on doit parvenir à la conclusion que ces événements relèvent du domaine de la communication. C'est donc la communication qui nous offrira les éléments thérapeutiques efficaces de la psychothérapie.

Si l'on essaie d'isoler et de cerner les processus communicationnels qui semblent avoir un effet thérapeutique, on découvre que les formulations actuelles ne rendent pas justice aux processus de la communication; pourtant, des concepts tels que «transfert», «contre-transfert», «catharsis» et «association libre» renvoient explicitement aux aspects communicationnels des techniques 099 psychanalytiques. Ces termes ont été conçus pour des systèmes qui étudient l'individu comme une entité isolée plutôt que son fonctionnement en tant qu'être social. Rien d'étonnant que, alors que tous les thérapeutes essaient effectivement d'améliorer les moyens de communication de leurs patients, ils ne mentionnent qu'implicitement les processus de communication quand ils parlent de ces événements.

La rareté des informations concernant la communication contraste vivement avec le nombre des publications qui essaient d'expliquer ce qui se passe dans l'esprit des êtres humains. Puisque les schémas théoriques convenaient seulement à l'analyse du seul individu, rien n'était prévu pour prendre en compte son environnement ou ses relations sociales. Aujourd'hui, il est donc devenu nécessaire d'élargir les notions qui cernent la structure de la personnalité afin d'inclure des hypothèses qui engloberaient toutes les personnes qui interagissent dans les situations thérapeutiques et sociales. Si le domaine de nos préoccupations dépasse la psychiatrie, pour englober les réseaux plus vastes de la communication, nous cessons d'être prisonniers des limites du seul individu. Nous pouvons maintenant tenter de suivre, dans le temps et dans l'espace, la trace des messages qui entrent et qui sortent, depuis leur origine jusqu'à leur destination.

Le réseau de communication va donc définir notre univers psychiatrique. L'origine et la destination des messages peuvent se trouver à l'intérieur même de l'organisme; il s'agit alors d'un réseau intrapersonnel. Si le message émane d'une personne et est perçu par une autre, il s'agit d'un réseau interpersonnel. Si un individu remplit la fonction de messager, alors et l'origine et la destination se trouvent en dehors de cet organisme particulier. Pour comprendre un système de communication, et spécialement les troubles de la communication qui s'y produisent, le psychiatre doit donc s'intéresser à la situation sociale. Les mécanismes fondamentaux d'interaction seront alors les actions réciproques entre les personnes, l'impact de la communication de masse sur l'individu et la formation, par l'intermédiaire d'actions individuelles séparées, de systèmes suprapersonnels plus grands et plus complexes [147].

Si l'on pense que la psychothérapie doit d'abord s'efforcer d'améliorer la communication du patient en lui-même et avec les autres, il faut rechercher les conditions nécessaires d'une telle amélioration Page 100 [60]. Nous avons mentionné antérieurement qu'un étranger se trouve dans une situation spécialement favorable pour donner des indications sur les systèmes de valeurs des personnes qu'il a observées. Quand un touriste essaie de parler avec des gens dans un autre pays, il est obligé d'explorer leur système de communication. Chez lui, il peut avoir appris leur langue mais, du fait qu'il lui manque une grande partie des associations nécessaires pour interpréter correctement les messages reçus des autres, il a du mal à comprendre ce qui se passe et notamment à saisir les nuances émotionnelles des relations humaines. L'Américain qui visite l'Angleterre connaît bien cette expérience. Il entend approximativement la même langue mais il ne comprend en aucune façon les nuances subtiles du comportement et de l'expression des Anglais jusqu'à ce qu'il ait maîtrisé, au cours d'une longue série d'expériences, les signaux nécessaires qui lui permettront d'interpréter correctement leurs messages.

Le principe général sous-jacent à ces observations peut être exprimé de la façon suivante: quand tous les participants adhèrent au même système de communication, un échange se développe spontanément parce que ces participants savent implicitement comment communiquer, bien qu'ils soient fréquemment incapables de formuler explicitement les techniques de leur communication. Par contre, quand des gens ont recours à des systèmes de communication différents, ils doivent d'abord acquérir une information explicite sur leurs propres façons de communiquer et sur celles de l'autre personne avant qu'un échange satisfaisant puisse intervenir.

Le psychiatre qui désire converser avec un patient hébéphrène est donc dans une position très semblable à celle du touriste qui voyage dans un pays étranger et ne connaît pas la langue. Pour comprendre le contenu du message, il doit explorer le système de communication spécifique que le patient emploie; cette tâche implique fréquemment la difficulté insurmontable de décoder le système symbolique du patient. On peut donc supposer que, dans toute démarche thérapeutique où la compréhension entre les personnes joue un rôle fondamental, les différences entre le patient et le thérapeute sont essentielles si l'on veut que le malade progresse. Précisons: il semble que les différences les plus importantes se rencontrent au sein du système de communication des deux personnes; et le progrès de la thérapie est lié Page 101 à l'expérience, consciente ou inconsciente, de communication du patient avec un autre individu (le thérapeute) dont le système de valeurs et le système de communication sont différents des siens. Nous pouvons maintenant reformuler le problème central de la psychothérapie: Comment se fait-il que, au cours de l'échange de messages entre deux personnes aux systèmes de codage et d'évaluation différents, un changement se produise dans le système de codage et d'évaluation d'une ou des deux personnes ? Ce problème confine au paradoxe: à un moment donné, un individu ne peut émettre ou recevoir des messages que s'ils sont structurés d'une façon adéquate pour son système de communication actuel. On doit supposer que tous les autres messages ne sont pas perçus, demeurent inintelligibles, ou sont mal compris. Durant l'interaction, quand un individu participe effectivement à une communication de personne à personne, il peut remarquer que des messages demeurent mal interprétés et que de l'information manque. Quand les messages transmis sont imprimés, détecter de telles lacunes est difficile, sinon impossible.

La différence entre la communication directe de personne à personne et la communication par un texte imprimé explique en partie les divergences entre la théorie psychiatrique et la pratique thérapeutique. Il est difficile de provoquer par un message écrit une impression semblable à celle que l'on suscite par la parole au cours d'un contact personnel et cette difficulté est liée aux caractéristiques du langage. Dans la mesure où, pour écrire sur la communication, il faut avoir recours à la communication, nous nous trouvons dans une situation très semblable à celle de l'homme qui essaie de se soulever en tirant sur les lacets de ses souliers. Il existe toutefois des solutions à ce casse-tête. Le romancier, par exemple, est très conscient de ces embûches: il écrit à propos de la communication en faisant revivre sur le papier une situation qui implique des relations humaines mais en laissant implicite ce qui se dit sur la communication. C'est lui, en tant qu'artiste, qui installe le décor; il nous présente les acteurs, il les fait jouer, et nous, les lecteurs, nous participons en tant que spectateurs et avons l'impression de nous trouver réellement sur les lieux où se déroule l'action. Et, après avoir lu la dernière page, nous refermons le livre avec le sentiment que quantité de choses nous sont arrivées durant le laps de temps où nous avons dévoré l'intrigue chapitre après chapitre. Notre gratitude Page 102 et notre admiration ou bien notre rancœur et notre désapprobation répondent aux efforts de l'écrivain pour introduire de la vie dans des mots et des phrases.

Mais, en tant que scientifiques, nous ne pouvons pas réagir tout à fait de la même manière à la façon dont l'artiste présente les choses. Il faut se souvenir que, lorsqu'un romancier expose une série d'événements, il compte toujours produire une impression en quelque sorte kinesthésique sur le lecteur. Les sensations successives éprouvées tout au long de la lecture d'un livre permettent au romancier de nous transmettre ce qui est perdu dans le texte scientifique à cause de l'unidimensionnalité du langage. Dans la prose et la poésie, des sensations et des états émotionnels plus hétérogènes sont implicitement suscités chez le lecteur grâce aux effets des messages imprimés, espacés dans le temps. En manipulant habilement les séquences et les contrastes, les gros plans et les panoramiques, les focalisations et les enchaînements, l'artiste réussit à vaincre l'unidimensionnalité du langage.

Le psychiatre se trouve confronté à un dilemme qui est justement lié à cette unidimensionnalité du langage. Quand il décrit un événement survenu entre des personnes, il peut décrire explicitement ce qui est arrivé et laisser implicites les principes sous-jacents. Dans ce cas, et en supposant qu'il soit doué pour faire des descriptions précises, il mettra sur le papier ce qui le frappe le plus. Cette technique, arbitraire mais inévitable, est nécessaire car il faut exposer successivement une multitude d'impressions simultanées. Au moment où l'observateur se met à coucher sur le papier ce qu'il a perçu, des sensations nouvelles, et donc plus importantes, ont remplacé les précédentes et ce qui avait été perçu est en grande partie perdu.

Le psychiatre peut aussi abstraire et condenser ses observations avant de les écrire. On aboutit donc inévitablement à la sélection. Ce faisant, l'observateur tendra à définir explicitement les principes impliqués dans un événement social. Mais, à chaque fois qu'un psychiatre explicite ses principes, il s'engage dans une impasse. Il se peut qu'il économise du temps, mais il y a un prix à payer, puisqu'il est impossible de reconstruire les événements originels à partir des principes inférés. Pour venir à bout de cette limitation, le psychiatre, quand il parle de principes, a tendance à revenir aux événements originels; en pratique, il y parvient Page 103 en évoquant un cas exemplaire. Ce mélange de principes et d'études de cas caractérise les écrits des psychiatres. Mais, même dans ces conditions, un lecteur, qui n'était pas présent lors de l'événement originel, peut ne pas comprendre le rapport écrit, à cause de la sélectivité du rapporteur: ce dernier peut avoir omis des données pertinentes auxquelles les principes s'appliquent. A une telle objection, le psychiatre est enclin à répondre que la personne qui veut réellement comprendre doit s'impliquer dans une situation sociale; l'expérience partagée des événements peut alors servir de base pour discuter plus avant des principes de la théorie. Les limites d'une telle méthode sont évidentes: seul un nombre très restreint de personnes, sélectionnées, sont en mesure de participer à n'importe quelle situation, et un corpus cumulatif de connaissances est difficile à rassembler sur une telle base.

Certains psychiatres soutiennent même que la psychothérapie et la psychiatrie ne peuvent être enseignées que par le contact personnel d'individu à individu; ils pensent que la communication de masse par les livres et par les conférences est tout à fait inefficace. Bien qu'il y ait du vrai dans une telle position, elle ne correspond évidemment pas tout à fait à la situation réelle. On ne peut bien sûr apprendre le «quand» et le «combien» de l'art de la thérapie que par l'expérience personnelle, et chaque individu doit développer sa propre qualification. Le «quoi» et le «où», cependant, constituent des aspects de la thérapie qui tombent dans le domaine de la science, et un corpus cumulatif de connaissances scientifiques peut être rassemblé sur ces questions.

Le «quand» et le «combien» de l'art de la thérapie dépendent de la capacité personnelle de maîtriser les différents systèmes de communication que l'on rencontre chez les patients perturbés. Ce n'est pas tant la connaissance de ces systèmes qui compte, mais plutôt l'aptitude à communiquer à l'intérieur de ceux-ci lorsqu'ils se présentent chez le malade. Pour revenir à notre voyageur, le psychiatre doit communiquer ici avec la spontanéité d'un enfant ou d'un autochtone. Par contre, le «quoi» et le «où» de la thérapie expriment un savoir explicite sur ces systèmes. Quand le psychiatre pense aux malades, quand il parle d'eux, quand il écrit à leur sujet, il doit se comporter comme un voyageur qui relate ses voyages à l'étranger; ces expériences en général expriment Page 104 le choc de systèmes de communication, et donc de systèmes d'instrumentation différents.

La meilleure attitude pour comprendre les troubles commu-nicationnels est celle de l'observateur-participant. Elle permet au psychiatre de vérifier si la communication d'une personne est perturbée et, si c'est le cas, de mettre en place les méthodes de correction nécessaires. Au cours d'un entretien initial, nous procéderions comme suit.

Premièrement, nous vérifierons si le patient a conscience des règles, des rôles et de la nature des situations sociales et s'il est capable d'évaluer correctement le contexte de son système de communication.

A une seconde étape, nous observerions si, oui ou non, le patient s'adapte bien au réseau de communication auquel il participe effectivement. Nous rechercherions s'il y a dans le réseau intrapersonnel des perturbations qui peuvent apparaître sous la forme de troubles de la perception des stimuli extérieurs (extéroception), des stimuli internes (proprioception), dans le traitement central des informations disponibles (codage et évaluation), dans la transmission des messages du centre à d'autres parties du corps (propriotransmission) ou dans la transmission de messages au monde extérieur (extérotransmission). Nous nous demanderions comment cette personne fonctionne au sein d'un réseau interpersonnel et comme membre d'un réseau groupai et d'un réseau culturel. Le psychiatre ne peut s'assurer de la façon dont se comporte un patient au sein d'un réseau interpersonnel que s'il s'expose lui-même à l'impact des messages du malade et observe l'impact de ses propres communications sur le patient. Dans un tel système circulaire, l'observation des phénomènes de rétroaction permet au psychiatre d'établir si le patient est capable ou non de corriger les messages qu'il reçoit et qu'il émet. Cette correction nécessite que le patient observe son propre impact sur les autres et celui des autres sur lui-même.

Il va sans dire que le psychiatre, en tant que médecin, sera attentif aux aspects quantitatifs de la communication; l'intensité des stimuli, leurs effets de sous-stimulation ou de surstimulation et tous les autres aspects du métabolisme de l'organisme doivent ici entrer en ligne de compte.

Dans une quatrième étape, nous analyserions les problèmes sémantiques de communication, c'est-à-dire la précision avec Page 105 laquelle les messages d'un patient transmettent la signification souhaitée. Les aspects linguistiques, la maîtrise des systèmes symboliques et tout le problème des apprentissages supérieurs ont ici leur place.

Au cours d'une dernière étape, nous apprécierions ensuite l'efficacité avec laquelle les messages du patient influent sur la conduite d'autres personnes, d'une façon souhaitable ou indésirable. La maîtrise de la communication signifierait que l'effet désiré peut être obtenu et que cet effet sur les autres sera profitable au patient; et si cela est bénéfique pour le patient, généralement cela le sera aussi pour ceux avec qui il est en contact.

Une telle formulation soulève évidemment la question de l'influence du psychiatre au sein d'un système de communication et celle de la validité de ses conclusions. Sa participation au système (sa non-participation est en effet impossible) influence la conduite du patient et vice versa. Non seulement l'état du patient peut s'améliorer ou empirer pendant que nous l'examinons pour la première fois, mais nos propres troubles de communication peuvent gêner notre approche du malade. Nous ne sommes jamais tout à fait sûrs de nos actes et seul le contrôle par une autre personne (un tiers ou le patient lui-même) peut nous permettre d'évaluer les conséquences de nos propres actions. L'aptitude à corriger mutuellement la signification de nos messages et à influencer mutuellement nos conduites à la satisfaction réciproque est le résultat d'une bonne communication. C'est le seul critère que nous possédions. Y parvenir avec succès est un signe de santé mentale.

Si l'aptitude à communiquer avec succès coïncide avec un bon équilibre psychique, nous savons qu'une telle définition a une portée relative; mais il est évident que les gens ne bénéficient d'une bonne santé mentale que si leurs moyens de communiquer leur permettent de traiter de façon heureuse avec leur entourage. Ils deviennent inadaptés temporairement ou définitivement, soit lorsque les moyens de communication sont défectueux et qu'ils tombent en panne, soit quand les gens sont transplantés dans des milieux qui emploient un système de communication différent. Comme aucun milieu ne reste jamais stable longtemps, nous devons continuellement corriger notre information; le savoir acquis dans un certain ensemble de circonstances, ou dans un Page 106 certain type de situation sociale, doit être contrôlé suivant le contexte d'autres circonstances ou de situations différentes.

La maturité implique toujours de connaître la valeur et la signification relatives des choses. Mais, alors que cette attitude relativiste se développe avec l'expérience, les gens manifestent leur soif d'absolu en cultivant leur foi en une activité, un mouvement ou une religion. Ils espèrent ainsi compenser leur désillusion progressive face à la nature relative des choses. Cependant, de nombreuses personnes n'arrivent jamais à maîtriser le sens relatif de la communication, et n'arrivent jamais non plus à admettre que leur image du monde dépend de leur propre système de perception. On peut rencontrer certaines de ces personnes dans la vie quotidienne, d'autres se trouvent internées dans des hôpitaux psychiatriques. L'état pathologique que le psychiatre nomme «psychose» provient essentiellement de ce que le malade interprète de façon erronée les messages qu'il reçoit; la pathologie que nous appelons communément «névrose» découle du fait qu'un patient essaie - sans y parvenir - de manipuler les situations sociales pour créer une situation qui lui permettrait de véhiculer ses messages aux autres de façon plus efficace. Ces messages ne sont généralement pas compris par les autres; le patient en est frustré et, en cherchant comment mieux assumer sa frustration, il ne fait que perturber davantage les processus de communication.

Nous pouvons illustrer d'une façon plus détaillée des considérations générales à propos de la communication de patients considérés comme psychotiques ou névrotiques. Le schizophrène, par exemple, a tendance à ne pas être conscient que les relations humaines sont des phénomènes multipolaires; il s'assigne à lui-même un rôle et néglige le fait que les rôles sont déterminés par une relation mutuelle. Dans le passé, on a appelé ce phénomène la pensée autistique. Nous préférons l'analyser comme une distorsion: un schizophrène n'a pas conscience de son impact sur les autres, bien qu'il exagère les aspects coercitifs des messages que les autres peuvent lui adresser. Après tout, nous appelons rôle simplement un code qui indique comment doit être interprété un message à soi-même et aux autres. Cette distorsion de la communication empêche le schizophrène tout d'abord de recevoir des messages correctement et ensuite de corriger l'information qu'il possède déjà. Incapable de rectifier l'inexactitude de ses Page 107 informations, il construit progressivement un modèle déformé de lui-même et du monde. Une telle vision des choses conduit à un isolement progressif puisque des informations déformées rendent impossible une interaction appropriée avec les autres.

Le patient atteint de psychonévrose, par contre, semble souffrir d'un type de distorsion différent. Dans les grandes lignes, sa tendance est d'inonder les autres de messages et d'essayer de les forcer à accepter des rôles qu'ils ne sont pas disposés à assumer. Ses tentatives compulsives de forger des situations et de forcer les gens aboutissent évidemment à une interaction insatisfaisante. Les névrosés, au lieu de corriger les messages qu'ils transmettent en vain, ne font essentiellement que répéter et répéter le même message en espérant qu'à la longue il sera compris. Si le terme «psychose» est réservé aux personnes dont les processus de communication sont surtout perturbés dans la sphère de la perception, le terme «névrose» renvoie à des difficultés dans le domaine de la transmission des messages aux autres. Tous les névrosés essaient d'influer sur la conduite des autres. L'hystérique, par exemple, émet des signaux corporels visibles pour communiquer avec les autres, et le psychopathe préfère les actions qui plairont ou déplairont fortement à l'autre. L'intellectuel compulsif et le fanatique envoient sans interruption leurs messages et tentent d'influencer les autres sans se soucier de l'effet réel de leurs actions sur les gens; seule une personnalité mûre a conscience des effets réciproques des actes de la communication ainsi que des effets salutaires des relations humaines lorsqu'elles sont réussies.

Les personnes immatures [141] représentent le support privilégié des manifestations psychosomatiques. Incapables d'établir des interrelations comme le font les personnalités matures, ces patients emploient encore les moyens de communiquer qui ont prévalu dans leur petite enfance. Cela implique que, dans la communication interpersonnelle, les impressions provenant des organes terminaux chimiques et sensoriels l'emportent sur les impressions recueillies par les récepteurs à distance (vision et audition) qui sont plus complexes. Des messages significatifs sont donc transmis de préférence par de tels individus dans un contact intime de personne à personne qui implique le toucher, la douleur, la température ou les fonctions vibratoires, olfactives et gusta-tives. Les symptômes physiques sont fréquemment Page 108 employés à des fins de communication; ils représentent, pour ainsi dire, des zones de contact qui dominent les relations humaines. Certaines maladies de peau, de nombreuses manifestations allergiques des voies respiratoires et certaines affections des voies intestinales supérieures ou inférieures et du système vasculaire périphérique peuvent être citées en exemple [135; 136; 142; 150].

Les patients psychosomatiques ont tendance à supposer que les autres fonctionnent aussi avec le même système de codage-évaluation; en pratique, cela revient à supposer qu'eux-mêmes et leur interlocuteur font partie d'une seule et même matrice physique ou d'un seul et même réseau nerveux. Cette supposition est naturellement tenue pour vraie en ce qui concerne la relation du patient à sa mère avant la naissance et il ne semble pas qu'ils aient appris que dans la communication interpersonnelle les messages doivent être transmis dans l'espace et recodés très souvent. En outre, ces personnalités immatures ont tendance à surestimer l'information qu'ils reçoivent de leur propre corps grâce à la proprioception, au détriment de l'information qu'ils reçoivent du monde extérieur à travers l'extéroception. C'est pourquoi ils sont incapables d'évaluer correctement l'effet de leurs propres actions sur les autres, et par conséquent incapables de corriger leur information en fonction d'un environnement qui change constamment. Autrement dit, la description des limites physiques, psychologiques et sociales de tels patients ne peut être qu'incomplète ou arbitraire. A cause de ces distorsions, ces individus doivent s'en remettre aux interventions d'autres personnes pour être protégés plutôt que de se préoccuper d'acquérir des informations à travers l'interaction avec leurs pairs.

Arrivé ici, le lecteur critique peut se demander si les maladies «organiques» ont un rapport avec la communication. Sans aucun doute, les psychiatres d'orientation physiologiste qui ont recours aux électrochocs et à la lobotomie comme moyens thérapeutiques emploient implicitement le concept de communication. Tous les médecins cherchent à améliorer les instruments de la communication. Le neurologue et le neurochirurgien se concentrent particulièrement sur le système nerveux central qui est en fait l'organe de la communication le plus important. Il n'existe aucune différence fondamentale entre le psychothérapeute qui s'occupe des aspects fonctionnels du système interpersonnel, le spécialiste des sciences humaines qui s'intéresse aux systèmes Page 109 suprapersonnels les plus vastes, et le physiologiste qui étudie l'interaction d'un organisme avec son milieu en termes de phénomènes physiques et chimiques. Exprimons cette idée en des termes plus abstraits: le physiologiste, le psychologue et le psychiatre s'intéressent aux problèmes d'ordre et de désordre, d'entropie et d'entretien du fonctionnement de l'organisme. Seule différence entre ces scientifiques: le physiologiste s'occupe d'échanges de calories et d'éléments chimiques tandis que le psychiatre et le psychologue analysent l'échange d'informations [181].

Ces quelques exemples suffisent à illustrer le sens des troubles de la communication observés chez les malades en psychiatrie. Bien que ce livre ne cherche pas à bâtir une nouvelle psychopathologie fondée sur les critères de la communication, nous pouvons rappeler au lecteur que, dans la pratique psychothérapeutique, des critères de la communication sont employés pour évaluer de façon opérationnelle les événements interpersonnels qui se produisent entre le patient et le thérapeute [149]. De séance en séance, le psychiatre évalue l'état de la communication qui s'établit entre lui-même et le malade et, avec le temps, on rencontre pratiquement la gamme complète des troubles de la communication chez tous les patients. Même si chaque malade souffre d'un trouble plus ou moins stéréotypé, il ne faut pas oublier que les psychiatres et d'autres observateurs sont frappés par les changements qui surviennent dans le système de communication de ces patients au bout d'une certaine période. Les diagnostics traditionnels de la psychopathologie perdent de leur signification au regard du flux des moyens d'expression de ces patients. Le psychiatre peut seulement se fier vraiment à l'état de la communication observée à un moment donné, dans un contexte donné et impliquant des personnes spécifiques. A un autre moment, dans un contexte différent et avec d'autres personnes, les façons de communiquer du patient peuvent apparaître sous un jour totalement différent. Des critères qui signalent l'étendue des troubles de la communication et qui indiquent le niveau de fonctionnement optimal auquel un patient peut prétendre semblent des critères beaucoup plus utiles opérationnel-lement que l'exposé descriptif d'une certaine pathologie à un certain moment. Après tout, un diagnostic implique toujours l'existence d'une pathologie durable; il introduit une typologie plutôt qu'une appréciation fonctionnelle du système Page 110 de communication du malade; et les typologies, parfois utiles, véhiculent souvent des déformations indésirables. Et cela, le thérapeute tente de l'éviter.

La tâche du thérapeute aujourd'hui peut se comparer à celle du technicien chargé de l'entretien ou d'une équipe d'intervention sur les grands réseaux de lignes à haute tension. Le thérapeute vise d'abord à comprendre les troubles de la communication et, cela étant acquis, à corriger les processus de communication défectueux. Cela implique non seulement de démolir des schémas établis, mais aussi, souvent, d'enseigner les éléments de base de la communication humaine. Si les circonstances et les gens sont cléments avec le nouveau-né, celui-ci tirera profit d'un environnement où les gens à la fois sont attentifs à la communication et recherchent le plaisir qu'elle procure, au cours de sa petite enfance, de son enfance et de son adolescence. Mais d'innombrables enfants sont nés dans des milieux négligeant la communication et ils n'auront jamais l'occasion d'acquérir les moyens de bien communiquer [141]. Ils fourniront plus tard le gros des patients effectifs ou potentiels de la psychiatrie. Whyte [179] affirme que «la pensée est née de l'échec»; nous aimerions ajouter que la communication est un baume qui soigne les blessures reçues au cours du dur combat pour la vie. Les gens qui n'ont pas maîtrisé la communication ont du mal à assumer leur frustration et cette même frustration les empêche d'apprendre à bien communiquer. Le psychiatre lutte pour interrompre ce cercle vicieux.

Décrire les techniques d'intervention des thérapeutes dépasserait le cadre de ce volume. Nous essayons ici de souligner l'étroite relation qui existe entre les problèmes de la biologie, de l'anthropologie et de la pratique psychiatrique. Les notions sous-jacentes aux pratiques psychothérapeutiques expriment tous les systèmes de communication qui existent dans une culture donnée. Nous avons souligné auparavant l'étroite relation entre la théorie des valeurs et la communication. Et bien sûr les notions de santé et de maladie, de santé mentale et de démence, ainsi que la forme des méthodes thérapeutiques, dépendent des valeurs culturelles - c'est-à-dire des systèmes de communication qui dominent dans une aire déterminée. En fait, toutes les méthodes thérapeutiques empruntent à la matrice sociale leurs moyens, tels que le langage, les gestes et la façon de les employer. Quand le thérapeute essaie Page 111 d'aider le malade, il forme avec son patient un réseau de communication interpersonnel qui fait lui-même partie d'un réseau groupal et d'un réseau culturel plus vaste.

Le psychiatre a pour tâche d'aider le malade à acquérir les moyens de communication qui lui permettront de s'adapter au réseau groupal et culturel dominant dans son milieu. Fondamentalement, toute personne peut bénéficier d'une aide pour améliorer ses moyens de communication. Seul varie le niveau auquel le patient et le médecin commencent à travailler; certains patients sont très malades, certains le sont moins et le rythme de l'amélioration varie en fonction de divers facteurs. Mais avec les années, et sans exception, on peut constater une amélioration si le patient est motivé pour progresser, s'il a le désir de survivre.