PRÉC. SOMM SUIV.
Gregory Bateson - Vers une Écologie de l'esprit
II - Forme et modèle en anthropologie

- II.3 - Le « moral » des nations et le caractère national [*] -

Nous allons procéder comme suit: 1. examiner d'abord certaines critiques qui peuvent être opposées à toute digression sur le concept de «caractère national»; 2. établir, à partir de là, les limites conceptuelles à l'intérieur desquelles l'expression «caractère national» a des chances d'être valide; 3. indiquer, par la suite, à l'intérieur de ces limites, les types de différences que nous pouvons trouver entre les nations occidentales, en essayant, à titre d'exemple, d'estimer plus concrètement certaines d'entre elles; 4. considérer, finalement, de quelle façon le «moral» des nations et les relations internationales sont affectés par des différences de cet ordre.


Obstacles a tout concept de «caractère national»

La recherche scientifique a été détournée de l'étude de ce type de questions par nombre d'arguments qui ont amené les chercheurs à les considérer comme vaines et malsaines. Avant d'avancer quelque opinion constructive sur les types de différences probables entre les nations de l'Europe, il est utile d'examiner les arguments qui s'opposent à ce type de questionnement.

En premier lieu, il est déjà démontré que ce ne sont pas les hommes, mais plutôt les circonstances où ils vivent qui diffèrent d'une communauté à l'autre: c'est dire que nous avons affaire à des différences de fond historique, ou de conditions actuelles, et que ces facteurs sont tout à fait suffisants pour rendre compte des différences de comportement, sans qu'on ait à faire appel à des différences de caractère entre individus. Cet argument n'est en fait qu'un rappel du principe dit du «Rasoir d'Occam» — ne pas multiplier les entités plus que nécessaire. Autrement dit, s'il existe des différences de circonstances qui sont observables, il est plus logique de nous y reporter, plutôt que d'inférer des différences de caractères, qui ne peuvent aucunement être observées.

Cet argument peut être réfuté par des données expérimentales, notamment par les expériences (non publiées) de Lewin, qui démontra qu'il y a de grandes différences dans la façon dont Allemands et Américains réagissent à l'échec, dans un cadre expérimental. Les Américains considèrent l'échec comme un défi, les incitant à redoubler d'efforts; les Allemands, au contraire, y répondent par le découragement. Mais, ceux qui soutiennent l'efficacité plutôt des conditions que du caractère, peuvent toujours répliquer à cela que les conditions expérimentales ne sont, en fait, pas du tout analogues pour l'un et l'autre groupe; que la valeur de stimulus de toute circonstance dépend de la façon dont elle se détache sur le fond des autres circonstances de la vie du sujet, et qu'il est impossible que ce contraste soit le même pour les deux groupes.

D'autre part, on peut dire que, puisque les mêmes circonstances ne se produisent jamais pour des individus ayant des fonds culturels différents, il est par conséquent inutile d'invoquer des abstractions telles que le caractère national. Cet argument s'effondre, je crois, si l'on fait remarquer qu'en mettant l'accent sur les circonstances plutôt que sur le caractère, nous passerions à côté de certains faits bien connus, relatifs à l'apprentissage. Une des idées peut-être les plus fondées de la psychologie nous dit qu'à tout moment les caractéristiques de comportement de tout mammifère, et particulièrement de l'homme, dépendent de l'expérience et du comportement antérieurs de cet individu. Ainsi, en supposant que les caractères, de même que les circonstances, doivent être pris en ligne de compte, nous ne multiplions pas les entités plus que nécessaire; nous connaissons, à partir d'autres types de données, la signification d'un caractère appris, et c'est cette connaissance qui nous incite à prendre en considération une «entité» supplémentaire.

Une seconde entrave à l'acceptation de la notion du «caractère national» surgit une fois que le premier obstacle a été franchi. Ceux qui concèdent qu'on doit tenir compte de ce caractère peuvent encore douter que quelque uniformité ou régularité puisse vraisemblablement prévaloir, à l'intérieur d'un échantillon d'êtres humains assez vaste pour pouvoir constituer une nation. Concédons tout de suite que, de toute évidence, l'uniformité ne se produit jamais, et essayons de voir quelles sortes de régularités il faut rechercher.

La critique formulée ci-dessus peut se présenter sous cinq formes: 1. signaler l'occurrence d'une différenciation subculturelle, autrement dit, différences entre sexes, entre classes ou entre groupes professionnels, à l'intérieur de la communauté; 2. remarquer l'extrême hétérogénéité et confusion des normes culturelles, dans des communautés de type «hétérogène» (melting pot); 3. mettre en évidence le cas du «déviant» accidentel, c'est-à-dire le cas de l'individu qui a subi une expérience traumatique «accidentelle», inaccoutumée pour son environnement social; 4. remarquer les phénomènes de changement culturel et, particulièrement, le genre de différenciation qui se produit lorsqu'une partie de la communauté, en raison du changement, est déphasée en arrière par rapport à une autre partie; 5. et, enfin, faire valoir la nature arbitraire des frontières nationales.

Comme ces objections sont étroitement liées entre elles, les réponses qu'on peut y faire découlent toutes, en fin de compte, de deux postulats: 1. l'individu, dans une perspective autant physiologique que psychologique, est une entité organisée unique, et ses «parties», ou «aspects», sont en rapport de modification et d'interaction mutuels; 2. une communauté est, elle aussi, organisée dans ce sens.

Si nous nous rapportons à la différenciation sociale à l'intérieur d'une communauté stable — disons, par exemple, la différenciation entre sexes, dans une tribu de Nouvelle-Guinée[1] — nous nous apercevrons qu'il ne suffit pas de dire que le système des coutumes et les structures de caractère d'un sexe sont différents de ceux de l'autre sexe. Ce qui est significatif, c'est que le système des coutumes de chaque sexe est embrayé dans le système des coutumes de l'autre, et que le comportement de chacun renforce le comportement de l'autre[2]. Nous trouvons, par exemple, dans la relation entre sexes, des modèles complémentaires tels que voyeurisme-exhibitionnisme, domination-soumission, secourisme-dépendance, ou des combinaisons de ceux-ci. Nous ne trouverons jamais un manque d'à-propos mutuel entre de tels groupes.

Pour ce qui est des nations occidentales, nous ne savons malheureusement que très peu sur les conditions de la différenciation des coutumes entre classes, sexes, groupes professionnels, etc.; toutefois, je pense qu'il n'est pas trop risqué d'appliquer cette conclusion générale à tous les cas de différenciation stable qui coexistent. Il est inconcevable, à mon sens, que deux groupes différents puissent exister côte à côte, dans une communauté, sans qu'il s'établisse quelque rapport mutuel entre leurs caractéristiques respectives: ce serait contraire au postulat selon lequel une communauté est une unité organisée. Nous admettrons donc que cette généralisation s'applique à toute différenciation sociale stable.

Mais tout ce que nous savons sur le mécanisme qui régit la formation du caractère — notamment sur les processus de projection, de formation des réactions, de compensation, etc. — nous oblige à considérer ces modèles bipolaires comme unitaires chez l'individu. Si un individu a reçu une formation qui le porte à faire montre de la moitié de l'un de ces modèles — par exemple, de domination —, nous pouvons dire avec certitude (quoique dans un langage imprécis) que les graines de l'autre moitié — la soumission, en l'occurrence — ont été simultanément semées dans sa personnalité. En fait, il nous faut penser à l'individu comme étant structuré selon le modèle domination-soumission, et non selon l'un ou l'autre de ses éléments. Par conséquent, si l'on a affaire à une différenciation stable au sein d'une communauté, on peut attribuer un caractère commun à ses membres, à condition de le décrire en fonction des motifs de la relation prévalente pour toutes les sections différenciées de la communauté.

Le même type de raisonnement nous sera utile pour répondre à la seconde critique, celle qui pointe sur l'extrême hétérogénéité, telle qu'on la retrouve dans les communautés modernes qui sont des melting pots. Supposons que nous essayions d'analyser tous les motifs de la relation entre individus et groupes, au sein d'une communauté comme la ville de New York. Pour peu que nous ne nous retrouvions chez les fous, nous parviendrons à une description infiniment complexe du caractère commun; elle contiendrait sans doute plus de différenciations subtiles que l'esprit humain n'en pourrait analyser. A ce point donc, il nous faut prendre un raccourci: à savoir traiter l'hétérogénéité comme une caractéristique positive, sui generis, de l'environnement commun. En partant de cette hypothèse, à la recherche des motifs communs du comportement, nous pouvons remarquer certaines tendances qui exaltent l'hétérogénéité en soi (la Ballade pour les Américains, de Robinson Latouche) ou qui considèrent le monde comme constitué d'une infinité d'éléments disparates (le poème Crois-le ou pas de Ripley).

La troisième objection, le cas de l'individu «déviant», s'inscrit dans le même cadre de référence que la différenciation des groupes stables. Le garçon sur lequel l'éducation de l'école publique anglaise, par exemple, ne prend pas, même si les racines de sa déviation se trouvent à l'endroit d'un événement traumatisant «accidentel» — réagit d'abord contre le système de cette école. Les habitudes de comportement qu'il acquiert ne se conforment point à celles que l'école entend lui inculquer, mais il les acquiert, précisément, en réagissant contre ces normes mêmes. Il peut (et cela arrive fréquemment) acquérir des modèles qui sont tout à fait opposés aux modèles normaux; mais il est inconcevable qu'il acquière des modèles n'ayant aucun rapport avec les normes en place. Il peut devenir un mauvais élève de l'école publique anglaise, il peut «perdre la raison», mais ses caractéristiques déviantes n'en seront pas moins systématiquement reliées aux normes qu'il refuse. En fait, son caractère est tout aussi systématiquement en rapport avec la figure standard promue par l'école publique, que le caractère des indigènes iatmul de l'un des sexes est systématiquement en rapport avec les traits des individus du sexe opposé. Son caractère est toujours structuré selon les motifs et les modèles de relation ayant cours dans la société où il vit.

Le même cadre de référence s'applique à la quatrième objection, relative aux communautés en changement, voire à la différenciation qui se produit lorsqu'une partie de la communauté, en raison du changement, est déphasée par rapport à une autre partie. Puisque la direction dans laquelle s'effectue le changement sera nécessairement conditionnée par un statu quo ante, les nouveaux modèles, constitués comme des réactions aux anciens, seront systématiquement en rapport avec ceux-ci. Dans les termes et les thèmes de cette relation systématique, on peut toujours mettre en évidence une certaine régularité des caractères des individus. De plus, la prévision et l'expérience du changement peuvent, dans certains cas, prendre une importance telle qu'elles deviennent, à la fois, trait commun[3] et facteur déterminant sui generis, de la même façon que 1 'hétérogénéité peut, elle aussi, avoir des effets positifs.

Et, enfin, la cinquième critique: l'objection relative au déplacement possible des frontières nationales. Personne ne peut s'attendre à ce que la signature d'un diplomate au bas d'un traité modifie sur-le-champ le caractère des individus dont l'obéissance «nationale» est ainsi changée.

Dans le cas, par exemple, d'une population indigène illettrée, qui est mise pour la première fois en contact avec des Européens, il se peut que, dans la période qui suit le changement, les deux parties en présence se comportent d'une manière tâtonnante, voire laissée au hasard, chaque partie s'en tenant à ses propres normes, sans élaborer quelque adaptation à cette nouvelle situation. Cette période durant, aucune généralisation ne sera applicable aux deux groupes à la fois. Nous savons, cependant, qu'il se développera sans tarder, de part et d'autre, des modèles de comportement particuliers, en vue des contacts réciproques[4], A ce point, il est tout à fait sensé de se demander dans quels termes systématiques doit être décrit le trait commun aux deux groupes; à partir de là, la structure du caractère commun ira s'affirmant jusqu'à ce que les deux groupes soient reliés l'un à l'autre de la même façon que deux classes ou deux sexes, dans une société stable différenciée[5].

En somme, à ceux qui soutiennent qu'il existe, dans les communautés humaines, une différenciation interne trop prononcée, ou bien trop d'éléments dus au hasard pour qu'il soit possible de leur appliquer la notion de caractère commun, on peut répondre qu'une telle approche sera utile à condition: a) que nous décrivions le caractère commun en fonction des thèmes de relation qui prévalent entre groupes et individus, au sein de la communauté; b) que nous laissions suffisamment de temps s'écouler pour que la communauté parvienne à un certain degré d'équilibre ou qu'elle accepte soit le changement, soit l'hétérogénéité, comme caractéristique de ses membres.


Différences éventuelles entre groupes nationaux

Ce survol des objections à l'idée du «caractère national» limite considérablement la portée de ce concept. Mais les conclusions que nous pouvons en tirer sont loin d'être simplement négatives. Limiter la portée d'un concept revient, en fait, à le définir.

Nous venons d'ajouter ainsi un outil très important à notre recherche: la technique qui consiste à décrire le caractère commun (ou «le facteur commun le plus général») des individus, dans une communauté humaine, à l'aide d'adjectifs bipolaires. Au lieu de désespérer devant le fait que les nations sont profondément différenciées, nous prendrons les dimensions de cette différenciation comme indications à suivre dans l'étude du caractère national. Nous ne dirons plus: «les Allemands sont soumis» ou les «Anglais sont réservés»; nous utiliserons à la place, là où apparaît une relation de ce type, des expressions comme «dominateur-soumis». De même, nous ne ferons plus référence à l'élément paranoïde du caractère allemand, à moins que nous ne puissions montrer que par «paranoïde» nous entendons une caractéristique bipolaire des relations d'Allemand à Allemand ou d'Allemand à étranger. Nous ne décrirons plus la diversité des caractères en en définissant un certain type, selon sa position dans le continuum qui s'étend de l'extrême domination à l'extrême soumission; à la place, nous essaierons d'utiliser des continuum d'un autre type, comme, par exemple: «le degré d'intérêt pour, ou l'orientation vers, la domination-soumission».

Jusqu'ici, nous n'avons mentionné qu'un petit nombre de caractéristiques bipolaires: domination-soumission, assistance-dépendance et exhibitionnisme-voyeurisme. Une premi­ère critique qui peut se présenter à l'esprit, c'est qu'en définitive les trois caractéristiques sont nettement présentes dans toutes les cultures occidentales. Pour que cette méthode devienne utile, nous devons donc essayer de la développer, de lui donner une portée et une force discriminatoire suffisantes pour différencier une culture occidentale d'une autre.

A mesure que ce cadre conceptuel se développe, nous pourrons y introduire beaucoup d'autres extensions et discriminations; cependant, nous nous limiterons ici à l'étude de trois types d'expansion.

Autres formes de bipolarité

Lorsque nous avons parlé de bipolarité comme d'un moyen permettant de manier les différenciations au sein d'une société, sans renoncer pour autant à la notion de structure caractérielle commune, nous n'avons considéré que la possibilité d'une différenciation bipolaire simple. Ce modèle est certainement très courant dans les cultures occidentales: par exemple, en poli tique, républicains et démocrates, la droite et la gauche ou, encore, la différenciation des sexes, Dieu et le diable, etc. On y trouve même la tendance à imposer un modèle binaire à des phénomènes qui, en réalité, ne vont pas par couples: jeunesse contre âge mûr, travail contre capital, esprit contre matière; ce qui, en général, manque, ce sont les dispositifs organisationnels pour manier des systèmes ternaires[6]: l'apparition, par exemple, de tout parti «tiers» est toujours considérée comme une menace pour notre organisation politique. Cette tendance très nette vers des systèmes dualistes ne doit pas cependant nous rendre opaques quant à la possibilité d'autres modèles[7].

Il y a par exemple, dans les communautés anglaises, une tendance intéressante vers la formation de systèmes ternaires, tels que parents-nurse-enfants, roi-ministre-peuple, officiers-gradés-soldats[8]. Bien que l'architecture précise des relations composant ces systèmes ternaires soit encore à examiner, il est important de faire remarquer, dès maintenant, qu'ils ne sont ni de «simples hiérarchies» ni des «triangles». Par hiérarchie pure, j'entends un système sériel dans lequel il n'existe aucune relation directe entre individus, à cause du fait qu'ils sont séparés par un élément intermédiaire: autrement dit, des systèmes où la seule communication possible entre A et C passe par B. Par triangle, j'entends un système triple, sans propriétés sérielles. Mais le système ternaire, parents-nourrice-enfants, est très différent de l'une ou l'autre de ces formes; il contient des éléments sériels qui n'empêchent pas le contact direct entre le premier et le troisième terme. La fonction du moyen terme consiste alors essentiellement à éduquer et à former le troisième selon les normes de comportement qu'il doit adopter dans ses contacts avec le premier. La nurse apprend à l'enfant comment il doit se conduire avec ses parents, de même que le gradé apprend au simple soldat comment il doit se conduire envers ses officiers. En termes psychanalytiques, nous dirons que le processus d'introjection se fait indirectement, sans qu'il y ait un impact direct de la personnalité parentale sur l'enfant[9]. Toutefois, les contacts directs entre le premier et le troisième terme sont très importants. A ce propos, nous pouvons nous référer au rituel quotidien de l'Armée britannique où l'officier de service demande aux soldats et aux gradés assemblés s'ils ont des plaintes à formuler. Toute discussion détaillée du caractère anglais doit, par conséquent, prendre en ligne de compte à la fois les modèles ternaires et les modèles binaires (bipolaires).

Motifs symétriques

Nous avons considéré jusqu'ici que lesdits modèles «complémentaires», dans lesquels les modèles de comportement à une extrémité de la relation sont différents — tout en étant compatibles avec eux —, des modèles de comportement à l'autre extrémité (domination-soumission, etc.). Il existe, cependant, toute une catégorie des comportements interperson­nels qui ne se conforme pas à cette description. Hormis les modèles complémentaires contrastants, il nous faut reconnaître l'existence d'une série de modèles symétriques, suivant lesquels les individus réagissent à ce que les autres font, en faisant eux-mêmes quelque chose de similaire. Il nous faut en particulier considérer ces modèles compétitifs[10] dans lesquels l'individu ou le groupe A sont incités à manifester davantage tel type de comportement, lorsqu'ils perçoivent davantage ce même type de comportement (ou constatent un plus grand succès obtenu par celui-ci) chez l'individu ou le groupe B.

Il y a un contraste très marqué entre ces systèmes compétitifs de comportement et les systèmes complémentaires de domination-soumission, contraste très significatif pour toute tentative de définition du caractère national. Dans les systèmes complémentaires, le stimulus qui pousse A à déployer de plus grands efforts provoque une faiblesse relative chez B; si nous voulons que A s'affaisse ou se soumette, il nous faut lui prouver que B est plus fort que lui. En fait, la structure complémentaire peut être résumée dans l'expression «brute-couard», qui implique la combinaison de ces caractéristiques dans la personnalité de l'individu. D'autre part, dans une perspective fonctionnelle, les systèmes compétitifs symétriques se trouvent presque à l'opposé des systèmes complémentaires: le stimulus qui appelle de plus grands efforts chez A est en même temps le signe d'une plus grande force ou d'un plus grand effort chez B; et, inversement, si nous démontrons à A que B est vraiment faible, A relâchera ses efforts.

Il est probable que ces deux modèles, opposés en tant que potentialités, sont égale­ment réalisables chez tout être humain; mais il est évident, d'autre part, que tout individu qui adopterait les deux à la fois risque la confusion et le conflit intérieur. On peut trouver, chez différents groupes nationaux, plusieurs méthodes constituées pour résoudre cette contradiction. En Angleterre et en Amérique où, chaque fois qu'ils adoptent le modèle complémentaire, parents et enfants se heurtent presque sans cesse à un barrage de désappro­bation, ils en viennent inévitablement à accepter la morale du «savoir-faire» (fair play).

En réponse au défi des difficultés, ils ne peuvent pas, sans culpabilité, frapper le perdant[11]: pour le «moral» britannique, Dunkerque ne fut pas un épisode déprimant mais stimulant.

En Allemagne, au contraire, ces mêmes thèmes font apparemment défaut et la communauté est organisée principalement sur la base d'une hiérarchie complémentaire du type domination-soumission. Le comportement de domination y est nettement et fortement développé, mais néanmoins ce processus n'est pas encore clairement défini et exige une étude encore plus approfondie. Il est cependant peu vraisemblable qu'une pure hiérarchie de type domination-soumission puisse jamais exister en tant que système stable. Il semble que, dans le cas de l'Allemagne, le pôle «soumission» du modèle est dissimulé, si bien qu'un comportement de soumission manifeste est presque aussi fortement tabou qu'il peut l'être en Amérique ou en Angleterre. A la place de la soumission, nous retrouverons l'impossibilité d'un terrain de manœuvre.

Certaines indications sur le processus qui modifie et rend tolérable la soumission, m'ont été fournies par des interviews que j'ai prises en vue d'une étude du caractère allemand[12]. Un des sujets y raconte la façon dont le traitement qu'il avait reçu chez lui (en Allemagne du Sud), comme petit garçon, était différent de celui qu'avait reçu sa sœur; de lui, on exigeait beaucoup plus de choses; sa sœur, elle, disposait d'une grande liberté et pouvait se dérober à la discipline, alors qu'on s'attendait à ce qu'il claque toujours les talons et obéisse au doigt et à l'œil. Et, lorsque je lui ai posé la question de savoir si ces différences n'avaient suscité aucune jalousie entre frère et sœur, la réponse fut que l'honneur du garçon était d'obéir: «On ne s'attend pas à grand-chose de la part des filles», me répondit-il.

«Ce qu'ils (les garçons) devaient faire et accomplir était très sérieux, parce qu'il fallait qu'ils soient préparés à affronter la vie». Intéressante inversion de noblesse oblige[**].

Combinaisons des thèmes

Parmi les motifs complémentaires, nous n'en avons mentionné que trois: domination-soumission, exhibitionnisme-voyeurisme et assistance-dépendance, mais qui suffisent pour illustrer le genre d 'hypothèses vérifiables auxquelles nous pouvons parvenir, en décrivant le caractère national selon cette terminologie à traits d'union[13].

Puisqu'on retrouve nettement ces trois motifs dans toutes les cultures occidentales, les possibilités d'une différence internationale sont limitées aux proportions et aux façons dont on peut les combiner. Sans doute est-il très difficile de discerner ces proportions, à moins que les différences ne soient considérables. Nous pouvons être, par exemple intimement persuadés que les Allemands sont plus enclins vers la domination-soumission que ne le sont les Américains, mais de là jusqu'à prendre cela pour une certitude, il y a encore du chemin à faire. Il sera, par ailleurs, tout à fait impossible d'évaluer les différences dans le degré de développement de l'exhibitionnisme-voyeurisme et de l'assistance-dépendance, au sein des différentes nations.

Si, toutefois, nous considérons les différentes manières dont ces motifs peuvent se combiner entre eux, nous découvrirons des différences qualitatives marquées, qui peuvent aisément être mises à l'épreuve. Admettons que ces trois motifs sont développés dans toutes les formes de relation des cultures occidentales et, à partir de cette hypothèse, essayons de voir quel individu joue quel rôle.

Logiquement, il se peut que, dans un environnement culturel donné, A se montre dominateur et exhibitionniste, alors que B est soumis et spectateur; tandis que, dans telle autre culture, X peut être dominateur et spectateur, alors que Y est soumis et exhibitionniste.

Des exemples illustrant ce genre de contraste viennent assez facilement à l'esprit: pour ce qui est du caractère dominateur, les nazis, par exemple, se bichonnaient devant le peuple, alors que le tsar de Russie avait son ballet privé, et Staline ne sortait de sa retraite que pour passer en revue ses troupes. La relation entre le parti nazi et le peuple allemand peut être représentée comme suit:
PARTIPEUPLE
DominationSoumission
ExhibitionnismeVoyeurisme

Alors que, pour le tsar et son ballet, nous avons:
TSARBALLET
DominationSoumission
VoyeurismeExhibitionnisme

Puisque, tels quels, ces exemples ne sont pas fondés au niveau comparatif, il est utile de démontrer l'apparition de tels contrastes à travers la description d'une différenciation ethnographique plus frappante, à partir d'une documentation plus complète. En Europe, où nous avons tendance à associer le comportement d'assistance à la supériorité sociale, les symboles parentaux sont construits en conséquence: notre Dieu ou notre roi est le «père» de son peuple. A Bali, bien au contraire, les dieux sont les «enfants» du peuple, et quand un dieu parle par la bouche d'une personne en transe, il s'adresse à quelqu'un qui l'écoute de la place du «père». De même, le rajah est sajanganga («gâté» comme un enfant) par son peuple. Les Balinais aiment beaucoup donner aux enfants des rôles, à la fois de roi et de danseur; dans la mythologie, le prince parfait est raffiné et narcissique. Le modèle des Balinais pourrait donc se résumer ainsi:
RANG SUPÉRIEURRANG INFÉRIEUR
DépendanceAssistance
ExhibitionnismeVoyeurisme

Et ce diagramme n'implique pas seulement que les Balinais sentent que dépendance et exhibitionnisme vont naturellement de pair avec la supériorité sociale, mais aussi qu'un Balinais n'associera pas aisément assistance et exhibitionnisme (on ne retrouve absolument pas à Bali la caractéristique ostentatoire qui consiste à offrir des dons, si courante chez de nombreux peuples primitifs), et qu'il se trouvera très embarrassé s'il est obligé par le contexte à tenter une telle combinaison.

Bien qu'il nous soit difficile d'établir, avec la même certitude, des diagrammes analo­gues pour nos cultures occidentales, il est utile d'essayer d'en formuler quelques-uns relati­vement aux relations parents-enfants, dans les cultures anglaise, américaine et allemande. Il y a, cependant, là, une complication supplémentaire à affronter: lorsque, au lieu de consi­dérer les relations entre princes et peuple, nous examinons celles entre parents et enfants, il nous faut tenir compte tout particulièrement des changements du modèle au fur et à mesure que l'enfant grandit. L'assistance-dépendance est certainement le motif dominant dans la petite enfance, mais divers mécanismes interviendront pour modifier par la suite cette extrê­me dépendance, pour amener l'individu à un certain degré d'indépendance psychologique.

Pour l' Angleterre, le système des classes moyennes et supérieures peut être représenté dans le diagramme suivant :
PARENTSENFANTS
Domination Soumission (modifiée par le système «ternaire» incluant la nourrice);
Assistance Dépendance (habitudes de dépendance interrompues par la séparation: les enfants sont envoyés à l'école);
Exhibitionnisme Voyeurisme (les enfants écoutent en silence pendant les repas).

A l'opposé, le modèle américain correspondant semble être:
PARENTSENFANTS
Domination (légère)Soumission (légère)
AssistanceDépendance
VoyeurismeExhibitionnisme

Ce modèle diffère du modèle anglais non seulement par le renversement du voyeu­risme-exhibitionnisme, mais aussi par le contenu de ce qui est exhibé. Les parents américains encouragent leur enfant à affirmer son indépendance. Habituellement, le processus de sevrage psychologique ne s'effectue pas en envoyant l'enfant dans un internat; en revanche, l'exhibi­tionnisme de l'enfant joue contre son indépendance jusqu'à ce que cette dernière soit neutra­lisée. Par la suite, et à partir de ce début d'exhibition de son indépendance, l'individu peut parfois entrer dans sa vie d'adulte et faire valoir l'assistance, sa femme et sa famille devenant en quelque sorte ses «pièces à conviction».

Bien que le modèle allemand correspondant ressemble au modèle américain dans la distribution des couples de rôles complémentaires, il en diffère en ceci que, non seulement la domination du père est beaucoup plus forte et beaucoup plus conséquente, mais le contenu de l'exhibitionnisme du garçon est très différent. En réalité, il est dominé à travers une sorte d'exhibitionnisme «claque-talons», qui prend la place du comportement de soumission manifeste. Ainsi donc, alors qu'en Amérique l'exhibitionnisme est encouragé par les parents, comme méthode de sevrage psychologique, en Allemagne, sa fonction et son contenu sont complètement différents.

Ce sont des différences de cet ordre — qu'on peut retrouver au sein de toutes les nations européennes — qui donnent probablement lieu à bon nombre de nos commentaires naïfs, et souvent méchants, sur les autres nations. Ces différences peuvent même jouer un rôle de première importance dans la mécanique des relations internationales, dans la mesure où les comprendre à fond peut dissiper certains malentendus. Aux yeux des Américains, les Anglais paraissent trop souvent «arrogants», tandis qu'aux yeux des Anglais, les Américains paraissent «fanfarons». Montrer avec précision quelle est la part vérité et la part de déformation dans ces jugements, ce serait une contribution à la coopération.

Selon les diagrammes précédents, l'«arrogance» de l'Anglais serait due à la combinai­son de la domination et de l'exhibitionnisme. L'Anglais, dans un rôle d'acteur (le père au petit déjeuner, le rédacteur d'un journal, le porte-parole politique, le conférencier, etc.), suppose qu'il se trouve aussi à l'endroit de la domination, qu'il peut donc selon certaines nor­mes, vagues et abstraites, décider de la représentation qu'il va donner — et que, pour l'audi­toire, c'est à «prendre ou à laisser». Sa propre arrogance, il la considère soit comme «natu­relle», soit comme atténuée par son humilité vis-à-vis des normes abstraites. Inconscient du fait que son comportement pourrait très bien passer pour du mépris à l'égard de son public, il n'est conscient que de son rôle d'acteur, tel qu'il l'entend. Mais les Américains ne voient pas la chose de la même façon. A leurs yeux, le comportement «arrogant» de l'Anglais paraît dirigé contre le public, auquel cas, l'invocation implicite de quelque norme abstraite ne fait qu'ajouter l'insulte au mépris.

Pareillement, le comportement que les Anglais interprètent comme «vantard» et où ils voient une tentative de comparaison désobligeante, pour un Américain n'est pas agressif. L'Anglais ignore qu'en fait les Américains ne se comportent de la sorte qu'à l'égard de ceux qu'ils aiment et qu'ils respectent. Selon l'hypothèse mentionnée précédemment, le modèle «vantardise» provient d'une étrange association suivant laquelle toute exhibition d'autono­mie et d'indépendance s'oppose à une dépendance excessive. Un Américain, quand il se vante de quelque chose, c'est pour qu'on approuve l'indépendance qu'il affirme; mais l'Anglais, «naïf», interprète ceci comme une tentative de domination ou de supériorité.

Nous pouvons, par conséquent, supposer que la teneur d'une telle culture nationale est différente de celle d'une telle autre et que les différences en question peuvent être suffisamment grandes pour conduire à de sérieux malentendus. Il est néanmoins probable que ces différences ne soient. pas si complexes, et qu'elles puissent par conséquent être étudiées.


Le caractère national et le «moral» des Américains

En utilisant les motifs des relations entre individus et entre groupes comme autant d'indications relatives au caractère national, nous avons pu indiquer certaines séries de différences régulières qu'on rencontre entre les peuples européens. Nos affirmations sont nécessairement de nature plutôt théorique qu'empirique; cependant, de ces structures théoriques, il est possible de tirer certaines formulations utiles pour l'étude du «moral».

Celles-ci s'appuient sur la supposition d'ordre général que les individus réagissent très énergiquement précisément lorsque le contexte fait appel à leurs modèles habituels de réaction. Encourager avec de la viande crue un âne à monter la colline est tout aussi absurde que de tenter un lion avec de l'herbe.

  1. Puisque toutes les nations occidentales ont tendance à penser et à se comporter selon un schéma bipolaire, il serait bien, pour renforcer le «moral» des Américains, de considérer nos divers ennemis comme une entité hostile unique. Les distinctions ou nuances que les intellectuels pourraient préférer sont probablement perturbatrices.
  2. Puisque Américains et Anglais réagissent très énergiquement à des stimuli symétri­ques, il ne serait pas sage de notre part de minimiser les désastres de la guerre. Si nos enne­mis l'emportent sur un point ou un autre, nous devons considérer cette défaite plutôt comme un défi et une incitation à redoubler d'efforts. Quand nos armées ont essuyé un revers, notre presse ne devrait pas se dépêcher d'annoncer que «les progrès de l'ennemi ont été enrayés». Les succès militaires sont toujours intermittents et c'est au moment où l'ennemi consolide ses positions et prépare une nouvelle attaque qu'il faut frapper et qu'on a besoin du meilleur «moral». Ce n'est certes pas à ce moment-là qu'il convient d'affaiblir l'énergie agressive de nos chefs et du peuple par des paroles réconfortantes.
  3. Il existe cependant une opposition superficielle entre l'habitude de motivation symétrique et le besoin de faire preuve d'indépendance. Nous avons dit que l'enfant améri­cain apprenait à voler de ses propres ailes dans les occasions où ses parents acceptaient d'être les spectateurs de son indépendance. Si ce diagnostic est exact, un certain bouillonnement de l' appréciation de soi est à la fois normal et sain, chez les Américains; et c'est peut-être là un élément essentiel de leur indépendance et de leur force.
    C'est pourquoi suivre trop à la lettre la formule précédente, insister avec trop de force sur les désastres et les difficultés, pourrait conduire à une perte d'énergie, par l'endiguement de cette exubérance spontanée. Un régime soutenu de «sang, de sueur et de larmes» peut être une bonne chose pour les Anglais; mais les Américains, qui ne dépendent d'ailleurs pas moins du système de motivations symétriques, ne peuvent se ragaillardir lorsqu'ils n'ont que la défaite à se mettre sous la dent. Les porte-parole de notre gouvernement et les rédacteurs de nos journaux ne devraient jamais minimiser le fait que nos problèmes sont taillés à des dimensions humaines; ils devraient même insister sur le fait que l'Amérique est une nation taillée à cette dimension. Toute tentative de rassurer les Américains, en minimisant la force de l'ennemi, doit être évitée; il est en revanche bon de se flatter des succès réels.
  4. Étant donné que la perspective de la paix conditionne notre moral de guerre, il est utile de se demander ce que l'étude des différences nationales apporte à la résolution des problèmes soulevés par les négociations de la paix.

A mon avis, il nous faut élaborer un traité de paix tel que: a) les Américains et les Anglais soient prêts à combattre pour parvenir à le réaliser; b) il fasse ressortir les meilleurs traits de nos ennemis, plutôt que les pires. Si nous essayons d'aborder scientifiquement ce problème, il ne nous apparaît en aucune façon au-dessus de nos moyens.

Dans l'élaboration d'un tel traité de paix, l'obstacle psychologique le plus marquant que nous aurons à surmonter est le contraste entre les modèles symétriques des Anglais et des Américains et le modèle complémentaire des Allemands, qui s'oppose, lui, à tout comportement de soumission manifeste. Les nations alliées ne sont pas psychologiquement équipées pour imposer un traité sévère; évidemment, elles pourraient en rédiger un mais, six mois plus tard, elles seraient lasses d'opprimer leurs vaincus. D'un autre côté, si les Alle­mands considèrent le rôle qu'on leur donne comme un rôle de «soumission», ils ne l'accep­teront qu'à la suite d'un traitement plutôt sévère. Nous avons pu vérifier que ces considéra­tions étaient valables même pour un traité aussi faiblement punitif que le fut celui de Versailles; les Alliés ont oublié de le mettre en vigueur, et les Allemands ont refusé de l'accepter. Il est donc inutile de rêver à un traité analogue et plus inutile encore de réitérer de tels rêves, afin de nous remonter le moral à un moment où nous en voulons à l'Allemagne. Agir de la sorte ne ferait que brouiller les cartes au moment du règlement final.

Cette incompatibilité entre motivation complémentaire et motivation symétrique signifie, en fait, que le traité ne doit pas s'organiser simplement autour du motif de la domination-soumission; il est nécessaire de rechercher des solutions de rechange. Nous devons examiner, par exemple, le motif de l'exhibitionnisme-voyeurisme: quel est le rôle à jouer qui conviendrait le mieux aux différentes nations? Et celui de l'assistance-dépendance: dans le monde rationné de l'après- guerre, quels sont les modèles de motivation qui jouent entre ceux qui donnent et ceux qui reçoivent la nourriture? Outre ces solutions, il y a aussi la possibilité d'une structure triple, à l'intérieur de laquelle les Alliés et l'Allemagne seront, tous les deux, soumis, non pas l'un à l'autre, mais à quelque principe abstrait.


[*] Cet essai a paru dans Civilian Morale, édité par Goodwin Watson (copyright 1942, par la Société pour l'étude psychologique des problèmes sociaux). Il est réimprimé ici avec la permission de l'éditeur. Certains passages de l'introduction ont été supprimés.
[**] En français dans le texte. (N.d.T.)


[1] Cf. Margaret Mead, Sex and Temperament in Three Primitive Societies, New York, Morrow, 1935; en particulier, la partie III, pour une analyse de la différenciation entre sexes chez les Chambuli; de même, Gregory Bateson: Naven, Cambridge, Cambridge University Press, 1936 (trad. fr., La Cérémonie du Naven, Paris Éd. de Minuit, 1971), pour une analyse de différenciation entre sexes chez les individus adultes iatmul, en Nouvelle-Guinée.
[2] Nous ne considérons ici que les cas dans lesquels la différenciation éthologique suit la dichotomie sexuelle. Il est également vraisemblable que lorsque l'ethos de deux sexes n'est pas nettement différencié, il serait encore exact de dire que l'ethos de l'un renforce celui de l'autre, notamment par des mécanismes tels que la compétition et l'imitation mutuelle. Cf. M. Mead (op. cit.).
[3] Pour une discussion du rôle joué par les "changements" et l'"hétérogénéité" dans les communautés de type "creuset", cf. Margaret Mead, "Educative effects of social environment as disclosed by studies of primitive societies", conférence donnée au Symposium sur l'Environnement et l'Éducation, Université de Chicago, le 22 septembre 1941. Cf. aussi E. Alexander, "Educative influence of personality factors in the environment", ibid.
[4] Dans les mers du Sud, ces modes de comportement spéciaux que les Européens adoptent envers les indigènes sont très évidents. Cependant, à part les analyses des langues pidgin, nous n'avons aucune donnée psychologique à propos de ces modèles. Pour une description de modèles analogues, dans les relations entre Noirs et Blancs, cf. J. Dollard, Caste and Class in a Southern Town, New Haven, Yale University Press, 1937, tout particulièrement le chapitre XII, "Accommodation Attitudes of Negroes".
[5] Cf. Gregory Bateson, "Culture Contact and Schismogenesis", Man, 1935,8, 199, qui figure dans ce volume, p. 91.
[6] Est-il nécessaire de rappeler ici au lecteur l'inventaire raisonné des variantes trifonctionnelles, effectives ou simplement symboliques, que Georges Dumézil a entrepris depuis quarante ans, relatives aux cultures indo-européennes ? La comparaison serait fructueuse car il découvrirait à quelles conditions logiques (et avec quelles conséquences) le passage de la dualité à la trifonction crée des effets singuliers. De même, dans un cadre plus strictement ethno-anthropologique, la tentative structurale proposée depuis 1946 par Lévi-Strauss (cf. notamment "Les organisations dualistes existent-elles?", "Histoire et structure", in Anthropologie structurale l, 1956, et Les Structures élémentaires de la parenté, 1948) envisage la transition du dualisme à la tripartition comme étant au centre de l'événement diachronique auquel sont soumises les structures socio-parentales. En termes batesoniens "l'échange restreint" correspond à une structure symétrique (duelle) et "l'échange généralisé" à une structure diagonale (ternaire). (N.d.É)
[7] Le système social balinais, dans les communautés qui vivent dans les montagnes, est presque entièrement dépourvu de tels dualismes. La différenciation éthologique des sexes y est très faible et il n'y a absolument aucune faction politique. Dans les plaines, il existe un dualisme, qui trouve son origine dans l'intrusion d'un système de caste hindou, les membres d'une caste étant distingués de ceux qui n'en sont pas. Au niveau symbolique (en partie, à cause de l'influence hindoue), les dualismes sont beaucoup plus fréquents que dans la structure sociale (par exemple, Nord-Est contre Sud-Ouest, dieux contre démons, gauche symbolique contre droite, mâles symboliques contre femelles, etc.).
[8] Un quatrième exemple de ce triple modèle nous est fourni par certaines écoles publiques importantes, comme Charterhouse en Angleterre: l'autorité y est partagée entre les chefs intellectuels, calmes et courtois (les "moniteurs") et les chefs athlétiques, durs et vulgaires (capitaines d'équipes de football, responsables de dortoirs), qui ont pour tâche de veiller à ce que les "petits" courent à l'appel des moniteurs.
[9] Pour une discussion générale sur les variantes culturelles de la situation œdipienne et les systèmes apparentés des sanctions culturelles, cf. Margaret Mead ("Social change and cultural surrogates ", Journal of Educational Sociology, 1940, 14: 92-128); ainsi que G. Roheim, The Riddle of the Sphinx, London, Hogarth Press, 1934; trad. fr., "L'énigme du Sphinx", in Psychanalyse et Anthropologie, Paris, Gallimard, 1967.
[10] Le terme "coopération", qui est parfois utilisé comme l'opposé de "compétition", recouvre une très large variété de modèles, certains symétriques et d'autres complémentaires, certains bipolaires et d'autres dans lesquels les individus concernés sont orientés vers un but personnel ou impersonnel. Une analyse détaillée de ces modèles devrait nous fournir le vocabulaire dont nous avons besoin pour décrire d'autres sortes de caractéristiques nationales. Mais je ne ferai pas cette analyse ici.
[11] Il est toutefois possible que, dans certains secteurs de ces nations, les modèles complémentaires apparaissent avec une certaine fréquence - et notamment au sein des groupes qui ont souffert d'une insécurité et d'une incertitude prolongées: minorités raciales, régions défavorisées, le milieu de la Bourse, les cercles politiques, etc.
[12] Gregory Bateson, recherche non publiée, effectuée pour le council on Human Relations.
[13] Pour une étude plus complète, nous devrions tenir compte d'autres motifs, tels qu'agression-passivité, possessif-possédé, agent-outil, etc. Cela nécessiterait une définition plus critique que nous ne pourrions le faire dans cette conférence.


Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit.
Traduit de l'anglais par Perial Drisso, Laurencine Lot et Eugène Simion (t. I & II) ;
avec le concours de Christian Cler (t. II)
© Éditions du Seuil, Paris, 1977 (t. I), 1980 (t. II) pour la traduction française,
Tome I : ISBN 978-2-02-025767-1 (ISBN 2-02-0O4700-4, 1ère publication ; ISBN 2-02-012301-0, 2e publication)
Tome II : ISBN 978-2-02-053233-4 (ISBN 2-02-013212-5, lø publication)


Titre original: Steps to an Ecology of Mind
édition originale: ISBN 345-23423-5-195,
© Chandler Publishing Company, New York, 1972