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Gregory Bateson - Vers une Écologie de l'esprit
Biologie et évolution

- IV.5 - Commentaire sur la quatrième section -

Les articles qui constituent cette quatrième section sont très divers : en effet, bien qu’ils se rapportent tous à la pensée maîtresse de mon livre, ils émanent cependant de lieux théoriques différents. Ainsi « Le rôle des changements somatiques dans l’évolution » prolonge les réflexions contenues dans « Exigences minimales pour une théorie de la schizophrénie », alors que « Problèmes de communication chez les cétacés et auües mammifères » est une application à un type d’animal particulier de l’étude « Les catégories logiques de l’apprentissage et de la communication »[*].

« Réexamen de la loi de Bateson » peut paraître un peu divergent, mais en réalité cet article est solidaire du reste du livre, il étend la notion de contrôle informationnel au champ de la morphogenèse, et, par son étude des conséquences d’une absence d’information vitale, il met en relief l’importance du contexte dans lequel l’infomiation est reçue.

Avec sa remarquable perspicacité, Samuel Butler a fait quelque part un commentaire sur l’analogie entre rêves et parthénogenèse. Nous pouvons dire que les doubles pattes monstrueuses du coléoptère participent de cette analogie : elles sont la projection du contexte récepteur, privé de l’information qui aurait dû lui parvenir d’une source extérieure.

Les messages matériels, ou infomrations, passent d’un contexte à un autre contexte. Dans les autres sections de ce livre, j’ai mis l’accent sur le contexte d’où émane l’information ; là, j’insiste surtout sur l’état interne de l’organisme, considéré comme un contexte dans lequel l’information doit parvenir.

Il est évident qu’aucun point de vue ne suffirait, à lui seul, à assurer la compréhension de l’homme ou de l’animal. Cependant, peut-être n’est-ce pas un simple accident si, dans ces articles qui traitent des organismes non humains, le « contexte » que nous étudions est l’inverse (ou le complément) du « contexte » envisagé dans les autres sections du livre.

Considérons, par exemple, le cas de l’œuf de grenouille non fécondé, pour lequel le point d’entrée du spermatozoïde définit le plan de symétrie bilatérale du futur embryon. La piqûre d’un poil d’une brosse en poil de chameau pourrait tout aussi bien faire l’affaire : le message transmis serait le même. On peut donc en conclure que le contexte externe d’où provient le message est relativement indéterminé. De ce point d’entrée, en effet, l’œuf n’apprend que peu de chose sur le monde extérieur. Pourtant, le contexte interne qui reçoit le message doit être extrêmement complexe.

Nous pouvons dire que l’œuf non fécondé renferme une question immanente, à laquelle le point d’entrée du spermatozoïde fournit une réponse. Cette manière de considérer les choses est à l’opposé de la façon de penser traditionnelle, qui voit dans le contexte externe d’apprentissage une « question » à laquelle le comportement « juste » de l’organisme est une réponse.

On peut même tenter de dresser ici la liste des éléments qui constituent cette question immanente. ll y a, d’abord, les deux pôles de l’œuf, et aussi, nécessairement, la polarisation du protoplasme vers ces deux pôles. Si de semblables conditions structurelles n’étaient pas réunies pour répondre à la piqûre du spermatozoïde, ce message ne pourrait avoir aucun sens. Le message doit donc être reçu dans une structure adéquate.

Mais la structure seule ne suffit pas. Il est probable que n’importe lequel des méridiens de l’œuf peut potentiellement devenir le futur plan de la symétrie bilatérale ; à cet égard, tous les méridiens se valent et ne présentent aucune différence structurelle entre eux. En même temps, chaque méridien doit être prêt à recevoir le message inducteur, et ce caractère d’« état d’alerte » est seulement orienté mais non limité par la structure. En réalité, l’« état d’alerte » est justement une non-structure. Ce n’est que lorsque le spennatozoïde transmet — s’il le transmet — son message, qu’une nouvelle structure est engendrée.

En termes d’une économie de la souplesse (cf. « Le rôle des changements somatiques dans l’évolution », ainsi que le texte, plus tardif, inclus dans la sixième section du livre : « Écologie et souplesse dans la civilisation urbaine », cet « état d’alerte » est une potentialité non impérative de changement. Notons aussi que cette potentialité doit non seulement être toujours quantitativement finie, mais encore convenablement située dans une matrice structurelle, laquelle doit aussi, à tout moment, être quantitativement finie.

Ces considérations nous amènent tout naturellement à la cinquième section, que j’ai intitulée « Epistémologie et écologie ». Peut-être le terme d’« épistémologie » n’est-il ici qu’une autre façon de désigner le champ de l’écologie de l’esprit.


[*] Cf. vol. I de cette édition, p. 299-331.


Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit.
Traduit de l'anglais par Perial Drisso, Laurencine Lot et Eugène Simion (t. I & II) ;
avec le concours de Christian Cler (t. II)
© Éditions du Seuil, Paris, 1977 (t. I), 1980 (t. II) pour la traduction française,
Tome I : ISBN 978-2-02-025767-1 (ISBN 2-02-0O4700-4, 1ère publication ; ISBN 2-02-012301-0, 2e publication)
Tome II : ISBN 978-2-02-053233-4 (ISBN 2-02-013212-5, lø publication)


Titre original: Steps to an Ecology of Mind
édition originale: ISBN 345-23423-5-195,
© Chandler Publishing Company, New York, 1972