Ethnies et études démographiques, #2
Sur l'introduction par Michèle Tribalat des notions d'« appartenance
ethnique » et d'« origine ethnique » dans les enquêtes de l'INED

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 D ans un article du Nouvel Observateur[1] Ursula Gauthier rappelle la définition des « critères d'ethnicité » par Michèle Tribalat, chercheuse à l'INED : « "l'appartenance ethnique", [est] fondée sur la langue maternelle, et "l'origine ethnique", définie par le lieu de naissance des parents ». Simple, clair, net, précis. Vraiment ? Vraiment, non. Pour rappel, la définition d'« ethnie » par le Petit Larousse illustré, édition 2001 :

« ETHNIE n. f. (gr. ethnos, peuple). Société humaine réputée homogène, fondée sur la conviction de partager une même origine et sur une communauté de langue et, plus largement, de culture ».

Les Alsaciens forment une société homogène[2], ont la conviction de partager une même origine, ont une communauté de langue et de culture. Qu'ils se nomment Manzinali, Schulmeister, Gonzales, Choukroun, Benabiles ou Trautmann a peu d'incidence. Cela dit, probablement certains ascendants d'un Alsacien se nommant Manzinali ou Benabiles étaient « ethniquement italiens », ou « ethniquement arabes », bref, « ethniquement non alsaciens ». Et probablement, certains Alsaciens se nommant Schulmeister ou Trautmann n'ont pas que des ascendants « Alsaciens de souche ».

Comment déterminer « l'ethnicité » ?

Pour les « Français de souche », les questions de l'origine ou de l'appartenance ethniques sont-elles pertinentes ? Un Alsacien est-il « d'ethnie alsacienne », « d'ethnie française » (?), ou « non ethnique » ? Les critères ethniques valent-ils pour tout individu ou pour certains seulement, et alors, lesquels ? Les « Français de souche » sont-ils « ethniques », ou les dira-t-on « anethniques » ? Combien de générations faut-il pour passer du statut de Français « ethnique » à celui de Français « de souche » ? « L'ethnicité » est-elle une donnée objective (critères d'appartenance et d'origine) ou subjective (telle personne qui, selon ces critères, sera estimée « de souche » peut – cas fréquent des Français de lointaine origine arménienne – s'estimer elle-même « ethnique » ; tel Turc « ethniquement kurde » selon les critères d'appartenance et d'origine peut, dans une enquête, dire qu'il est « ethniquement turc », de même pour un Algérien ou Français d'origine algérienne « ethniquement kabyle » ; etc.) ? Un Français au père « d'ethnie portugaise » et à la mère « de souche française » – ou le contraire – est-il « de souche » ou « ethnique » ? Les rapatriés d'Algérie – pieds-noirs ou harkis – sont-ils « de souche » ou « ethniques » ? Secondairement, un rapatrié harki est-il plus « ethnique » qu'un pied-noir ? Les pieds-noirs d'origine juive séfarade sont-ils plutôt « ethniques » ou plutôt « de souche » ? Les Français originaires des anciens comptoirs de l'Inde dont les ascendants ne sont pas d'origine métropolitaine sont-ils « de souche » ou « ethniques » ?

Le concept d'« ethnicité », loin d'être, comme le prétend Michèle Tribalat, un moyen de « décrire le réel au mieux », semble tout simplement la résurgence d'un vieux démon habillé des couleurs de la science – le « démon des origines », dirait Hervé le Bras, l'un des contradicteurs les plus notoires de Michèle Tribalat. Le premier problème, lorsqu'on veut rabattre une donnée subjective sur des critères « objectifs » est qu'on effectue des simplifications abusives, le second, qu'en général cette pseudo-objectivité masque (mal) une autre subjectivité, celle du chercheur.

Très souvent, ceux qui n'interrogent pas trop leurs catégories, et ne s'interrogent pas trop sur leurs motivations à les utiliser, se servent du type d'arguments que développe Michèle Tribalat, se légitimant du « réel » alors qu'en toute logique, le « réel » ne préside pas à l'élaboration d'une catégorie, mais bien plutôt, les catégories se dégagent de l'étude du réel… De même, lorsqu'elle déclare que « l'opinion publique voit comme étrangers des gens qui sont de nationalité française et met en doute la validité des statistiques. Au lieu de mettre en doute l'opinion publique, il faut s'interroger sur la pertinence de nos catégories pour décrire les étrangers », elle a sensiblement, sur ce point, une attitude non scientifique : le but de la science n'est pas de donner une apparence de « scientificité » aux illusions de « l'opinion publique », mais tout au contraire de dissiper les illusions de l'opinion publique par une description scientifique de la réalité. Que l'INED prenne en compte dans ses enquêtes les fantasmes « ethniques » de la population (celle « de souche » comme celle « ethnique »), rien de plus normal ; qu'il donne une valeur scientifique à des catégories fantasmatiques, pose problème. Enfin, quand elle dit, « Notre société n'a pas attendu que nous forgions nos outils d'analyse pour être fortement ethnicisée », de quoi rend-elle compte : du « réel », ou de son opinion sur le réel ? Quelle que soit la manière dont on aborde la question, notre société n'est pas « fortement ethnicisée » :

  • La catégorie « Français de souche » formant plus de 90% de la population, au mieux moins de 10% de cette population (« Français ethniques », « étrangers ») est susceptible de se considérer ou d'être considérée « ethnique » ;
  • Parmi ces au plus 10% de « Français ethniques » et d'étrangers, certains (beaucoup) ne se considèrent pas « ethniques », pour plusieurs raisons : les « Kabyles ethniques », « Mandés ethniques », « Kurdes ethniques » n'ont pas un rapport objectif et univoque à leur supposée « ethnicité » : selon les critères « objectifs » de Michèle Tribalat, mon « ethnicité » kabyle est avérée, puisque le lieu de naissance de mon père est l'Algérie et sa langue maternelle le kabyle ; il se trouve que la Kabylie partage une particularité avec l'Alsace : elle s'intègre à un État-nation regroupant plusieurs « ethnies » (Kabyles, Arabes, Bédouins, Mozabites, etc.) dont les membres, comme les Alsaciens, comme les Bretons, comme les Corses, ont l'opportunité de s'auto-désigner « ethniques » ou « nationaux » (« Algériens de souche »), voire – c'est le cas de beaucoup – de superposer les identités[4] ;
  • Cette « ethnicisation » des immigrés et de leurs descendants fait l'impasse sur plus d'un siècle d'histoire commune entre « ethniques » et « Français de souche », « Allemands de souche », voire « Belges de souche » (mais, qu'est un national « de souche » en Belgique ? Les Flamands sont-ils autant, plus ou moins « de souche » que les Wallons ?). Et aussi sur ceci que, bien avant l'Europe, des régions entières du Moyen et de l'Extrême Orient, ont eu l'expérience, sous une forme différente, de « l'État-nation » pluri-ethnique. Il y a la représentation fantasmatique des « ethniques » (entendez, les extra-européens), et la réalité : au Sénégal comme en France, on peut se revendiquer national puis accumuler les appartenances, « ethnique » (Wolof, Peuhl), « géographique » (de Casamance, de Saint-Louis), sociale, religieuse, culturelle… Enfin, pour ces « ethniques » vivant en France, ils n'y sont pas plus « ethniques » que le Breton vivant à Montpellier et arborant fièrement le drapeau de « son pays » sur le pare-brise de sa voiture, le Catalan parisien qui participe à une association régionaliste et y pratique « sa » langue, « ses » danses, « sa » culture, que l'Alsacien de Saint-Malo qui, trente ans après son installation, parle encore avec l'accent de sa région d'origine ;
  • La tendance lourde de la société française à l'intégration de ses ressortissants « ethniques » empêche la formation d'un fort courant « ethnique », contrairement à ce qu'affirme Michèle Tribalat la société française, n'est ni depuis longtemps ni depuis peu « fortement ethnicisée » ; comme tout au long de son histoire récente (1850 environ) l'existence d'associations genre « Les Marocains de Drancy » ou « Amitiés franco-portugaises de Stains » ne prouve pas plus « l'ethnicité » ou « l'ethnicisation » de la société que, par exemple, « Les Auvergnats de Nogent » ou « Les amitiés Berry-Charentes de Vierzon » ; avoir ce qu'on appelle l'esprit de clocher ou la nostalgie du pays prouve que beaucoup de gens sont attachés à leurs racines anciennes, sans que cela les empêche d'en produire de nouvelles où ils se trouvent.
  • Le temps aplanit tout, et il devient difficile pour bien des gens de replacer les choses en perspectives, mais il ne faut pas croire que l'assimilation des populations européennes se fit sans mal : dans l'entre-deux-guerres les journaux nationalistes menèrent de nombreuses campagnes contre « l'invasion » italienne, polonaise, russe ; Italiens et Polonais eurent eux aussi droit, en leur temps, à des « ratonnades » ; quand j'avais une dizaine d'années, vers 1970, la xénophobie à l'encontre des « polaks », des « ritals », des « portos », des « espingouins » – et bien sûr des « youpins » – se portait aussi bien que celle visant les « bougnoules » et les « niaquoués » ; et même, la dépréciation des provinciaux ruraux persistait, dans les grandes villes… Les choses ont évolué. En fait, et contrairement à la perception fort peu scientifique de Michèle Tribalat, « l'ethnicité » en France est plutôt en régression, à preuve, on ne s'y livre plus, comme assez régulièrement dans les années 1970 et même au début de la décennie 1980, à des « ratonnades » – le terme même tend à disparaître.

Pourquoi ?

Question simple, réponse qui l'est peut-être moins. Qu'apporte le « concept » d'ethnicité aux études démographiques[5] ? Rien ou presque. Il y a des Français dont au moins un parents est « ethnique », donc, qui est né ailleurs qu'en France dans l'acception de Michèle Tribalat, et dont la langue maternelle n'est pas le français. Fine observation, grande découverte… Sinon en Belgique, en Suisse et au Canada, les « ethniques » ont cette curieuse tendance, naître avec une langue maternelle autre que le français. Ces Français « ethniques », pour leur compte, parlent-ils ou non le français ? Sauf certains sourds et quelques débiles profonds, connaissez-vous un seul « Français ethnique » qui ne le parle pas ? Moi, non. Et même, je connais beaucoup de « Français ethniques » ayant une connaissance limitée ou nulle de leur supposée « langue maternelle » (qui peut d'ailleurs être celle de leur père…). Autre fait curieux, les « Français ethniques » tendent communément à avoir des parents nés ailleurs qu'en France… On me dira que c'est dans la définition : le « Français ethnique » est tel parce qu'il a au moins un parent né hors de France dans un pays « ethnique », ou une ethnie « ethnique », ou dans une famille parlant une langue « ethnique ». Justement, c'est dans la définition. Pour dire les choses, l'information qu'apporte le fait de savoir si telle personne a des ascendants « ethniques » est nulle. En outre, elle est redondante avec une information déjà collectée par l'INSEE, celle de l'origine des parents des Français.

Enfin, pas tout-à-fait. La catégorie « origine ethnique » tend à recouvrir celle de « origine nationale », puisque celle-ci est « définie par le lieu de naissance des parents », et fatalement, sauf pour les Palestiniens, les Sahraouis et quelques personnes nées entre Libye et Tchad, naître quelque part, c'est naître dans un pays ; par contre, l'« appartenance ethnique », déterminée par « la langue maternelle », est tantôt infra-nationale (berbèrophones, wolophones) tantôt inter-nationale (kurdophones, francophones [mais les francophones ne sont pas « ethniques », je crois], tadjikophones), tantôt supra-nationale (arabophones, mandingophones, hispanophones).

Les « origines ethniques » postulées par Michèle Tribalat sont quelque peu problématiques. Un cas, « l'ethnie espagnole » : dans un pays où l'on a au moins quatre langues inassimilables (castillan, galicien, basque, catalan), au moins six zones culturelles (Andalousie, Castille, Catalogne, Pays basque, Galice, Baléares), où pour chaque zone la définition citée de ce qu'est une ethnie (« Société humaine réputée homogène, fondée sur la conviction de partager une même origine et sur une communauté de langue et, plus largement, de culture »), est valide, mais en revanche ne fonctionne pas au niveau du pays entier (les Espagnols, même ceux les plus attachés à l'unité du pays, ne se présument pas une origine commune ; même si solidaire, on ne peut dire que la société espagnole soit très homogène ; quand à la communauté de langue, ma foi…), définir une « ethnie espagnole » semble aventureux.

Une autre « ethnie » pose problèmes, « l'ethnie mandé ». Aucun des critères de ma définition ne fonctionne : il n'y a pas de langue commune, les divers groupes de cette « ethnie » ne se supposent pas une origine commune (et les linguistes et anthropologues sérieux, ne la supposent pas non plus…), enfin, les « cultures mandé », plus que diverses, sont parfois opposées. D'où cette question : pourquoi Michèle Tribalat, capable dans certains cas de déterminer des « ethnies » wolofe, peuhle, kwa, bantoue, nous dessine ainsi un « ethnie mandé » rassemblant des dizaines de groupes culturels parlant plus de 25 langues et répartis dans une zone allant de l'Atlantique à la Mer rouge, du Soudan à la Tanzanie, du Mali à l'Angola, soit plus de la moitié de l'Afrique ? Et bien, parce que, et puis voilà !

Parce que !

Selon Alain Blum, dans des opinions rapportées par Ursula Gauthier, cette polémique sur l'introduction de « l'ethnicité » dans les enquêtes de l'INED « révèle la crise de la science démographique dans la France d'aujourd'hui. “L'Ined se trouve à une période charnière de son histoire”, explique [Alain Blum]. Il est agité d'un conflit intérieur entre deux conceptions du métier de démographe. “D'un côté les ‹démographes-statistiques ›, plus techniciens, plus portés sur le comptage pur. De l'autre les ‹démographes-sciences humaines›, enclins à mettre l'accent sur la nature complexe des phénomènes démographiques. Les premiers, dont fait partie Michèle Tribalat, se contentent souvent d'appliquer des instruments mathématiques à des catégories de populations sans se poser de question sur la pertinence scientifique de ces catégories. Les seconds estiment indispensable de justifier leur méthode, de se poser des questions ‹existentielles› sur leur objet, sur leurs concepts, voire sur la notion même de ‹catégories de population›. Entre ces deux ‹cultures›, le fossé est désormais béant”. »[6]

Il faut le dire, l'opposant à cette « ethnicisation » des enquêtes démographiques que les médias mirent en avant – ce à quoi il s'est plaisamment prêté –, et que le procès que l'INED lui intenta mit encore plus en avant, Hervé le Bras, était quelque peu excessif et pas toujours pertinent dans ses critiques. Mais « en face » on n'avait pas grand chose à lui répliquer comme arguments positifs et surtout, scientifiquement valides. Pour citer un autre article, Patrick Simon, présenté comme « le fils spirituel de Michèle Tribalat »,expliquait lors d'un colloque

« qu'“il n'y avait pas lieu de dissocier précarité sociale et précarité ethnique, les deux phénomènes se combinant en permanence”. Il a défendu la référence aux origines au nom de la lutte contre la xénophobie et de la défense de la “génération sacrifiée”, celle des enfants d'immigrés maghrébins systématiquement renvoyés dans la réalité aux origines de leurs parents ».[7]

Je n'ai pas vraiment besoin de gloser abondamment pour montrer l'imperfection de cet argumentaire : la « référence aux origines » serait donc, selon lui, le meilleur moyen d'éviter que les enfants d'immigrés soient… « renvoyés […] aux origines de leur parents ». Sensiblement, il y a un problème. A rapprocher d'un argument de sa « mère spirituelle », en réponse à Hervé le Bras qui lui reprochait d'introduire dans ses enquêtes une notion chère au Front national, les « Français de souche » :

« Français de souche, c'est une notion de facilité, dans laquelle je ne fais entrer aucune hiérarchie de valeurs. Faut-il cesser d'utiliser nos catégories parce que le FN s'en sert ? »[8]

Évidemment, la réponse est oui. Comme le dit Ursula Gauthier, dans un passage cité, « les "démographes-statistiques", plus techniciens, plus portés sur le comptage pur, […] se contentent souvent d'appliquer des instruments mathématiques à des catégories de populations sans se poser de question sur la pertinence scientifique de ces catégories ». Ni sur leur pertinence sociale et politique, semble-t-il. Les mots ne sont pas innocents : Mme Tribalat peut ne faire « entrer aucune hiérarchie de valeurs » dans la qualification « Français de souche », elle n'empêchera pas les partisans et sympathisants du FN et du MNR de le faire – et d'ailleurs, ils l'ont fait : si vous vous rendez sur le site du MNR, vous verrez que dans plusieurs pages les travaux « antiracistes » de Michèle Tribalat sont utilisés de la manière anticipée et avec la délectation prévue par Hervé le Bras. Je trouve assez consternant qu'une chercheuse puisse benoîtement déclarer que pour elle, l'usage d'une expression problématique « est une notion de facilité ». D'ailleurs, sur « l'ethnicité » elle a une approche tout aussi « facile » :

« Chez Tribalat, les Européens sont classés par nationalité, qu'elle appelle “ethnie” par commodité : elle invente une “ethnie portugaise”, une “ethnie italienne”, etc. Dès qu'on traverse la Méditerranée, le détail s'affine, les nations s'effacent : les Algériens, par exemple, sont soit kabyles, soit arabes… Quand on parvient en Afrique noire, le souci du détail devient plus extrême encore, et moins pertinent…[9] ».

Ma foi, pas besoin d'être un ponte des études démographiques pour voir que les catégories « ethniques » de Michèle Tribalat sont assez douteuses et peu pertinentes. Ben oui, elle utilise la notion d'ethnie « par commodité », celle de « Français de souche » par « facilité », bref, "démographe-statistique" typique, elle « [se contente] d'appliquer des instruments mathématiques à des catégories de populations sans se poser de question sur la pertinence scientifique de ces catégories ». Mais d'autres – Philippe Bourcier de Carbon, Bruno Mégret, Alain Madelin… – se chargent pour elle d'y trouver de la « pertinence ».

En octobre 1997, Michèle Tribalat participe à un colloque intitulé « Morales et politiques de l'immigration ». Joli titre. Moins jolies visées. On y retrouve

« Philippe Bourcier de Carbon [“conseiller scientifique” de Jean-marie Le Pen] mais aussi Pierre Bernard, le maire de Montfermeil condamné à plusieurs reprises pour discrimination raciale, Henri de Lesquin, président du club de l'Horloge, Alain Griotteray, partisan d'une politique de la “main tendue” avec le Front national et les députés Alain Marsaud et Alain Madelin[10] ».

Une belle brochette de démocrates antiracistes… Pour sa défense, Michèle Tribalat explique qu'elle a « été piégée » :

« Je souhaitais exprimer mon désaccord avec Jacques Dupâquier qui m'a proposé de le faire au cours d'une conférence sans me donner la liste des invités. Une fois sur place, je me suis dit qu'il n'était pas plus mal qu'ils entendent autre chose. J'aurais dû refuser la publication mais je préfère assumer ma "boulette". Par principe démocratique, je pense qu'il faut continuer à parler avec des gens que l'on considère comme des ennemis pour éviter d'arriver à la violence absolue[11] ».

Voilà qui est bel et bon. Cela dit, si son but était d'« exprimer [son] désaccord avec Jacques Dupâquier » et de faire que ses auditeurs « entendent autre chose » (on suppose, que les discours de MM. Dupâquier et Bourcier de Carbon), pourquoi aurait-elle « dû refuser la publication » ? Tout au contraire, il valait que les lecteurs des actes de ce colloque profitent d'un autre discours que celui de vieux réactionnaires natalistes et « racialistes », pour ne pas dire plus. Et bien, dans l'autre article que je sollicite abondamment, celui du Nouvel Observateur, on a un compte rendu quelque peu différent :

« Pour Michèle Tribalat, Hervé Le Bras fait partie de l'“élite savante” qu'elle a décriée pendant son intervention à ce colloque. Dans la presse, elle l'accuse d'“allégations mensongères, amalgames et falsifications diverses”. “Sous le masque du justicier, écrit-elle, se cache l'imposteur scientifique, le "régleur" de comptes” »[12].

Alors, a-t-elle profité de ce colloque pour mettre en cause Dupâquier et ses approches spécieuses de la démographie, ou pour régler ses comptes avec Le Bras, comme elle le fit par ailleurs dans la presse ? J'ai dans l'idée que la seconde hypothèse est la vraie. Si vous voulez le savoir, tâchez de vous procurer les actes du colloque, publiés sous le même titre.

Je ne cesse de m'étonner de l'inaltérable mauvaise foi de certaines personnes : Michèle Tribalat stigmatise « l'élite savante » qu'est censé personnifier Hervé le Bras. Hmm… Je n'ai pas vraiment l'impression qu'une personne qui, comme elle, se voit confier la direction d'une enquête d'envergure par l'INED, participe de la « piétaille inculte ». Ah ! Mais M. Le Bras, lui, est un « universitaire par tradition familiale », outre que d'être chercheur à l'INED. Je vais vous révéler un grand secret : « l'élite savante » que sont supposés être les universitaires, pour être savante, n'est pas plus « élite » que ça, du moins, pas plus « élite » que ne peut l'être une directrice de recherche à l'INED… Cette attaque contre une supposée « élite savante » me fait penser à cette attaque du chroniqueur du quotidien Le Monde et producteur de « France 5 » Daniel Schneidermann contre Pierre Bourdieu, qui posait en « petit journaliste qui n'a pas peur des pontes du Collège de France ». Ouais. Petit journaliste… Sauf que, dans son domaine, il n'apparaît pas franchement « petit », puis surtout, le « petit journaliste » a usé ses fonds de culotte, en son temps, sur les bancs de l'École normale supérieure. Excusez du peu. Michèle Tribalat appartient autant à « l'élite savante » qu'Hervé Le Bras, ce qui ne l'empêche donc de stigmatiser… ce qu'elle est.

Les défenseurs de « l'ethnicité » ont du mal à convaincre. Du moins, ont du mal à me convaincre. Je le notais dans le texte précèdent (Ethnies et études démographiques, #1), la notion d'ethnie devient inusitée dans les sciences humaines pour au moins trois raisons : sa fonctionnalité est douteuse ; les anthropologues, ethnologues et sociologues qui s'attachent à « décrire le réel au mieux » sont amenés à considérer que rares sont les humains qui peuvent se décrire comme « ethniques » ; avec le temps, comme tous termes celui-ci a fini par être fortement connoté – et factuellement, la connotation principale pour celui-ci est : racisme. Pour dire, « l'ethnie » tend à remplacer, dans les discours réactionnaires, « la race ». Pour dire mieux, « ethnique » s'applique principalement aux situations où l'on a affaire aux « races inférieures ». Par exemple, quand il y a un conflit dans les Balkans, les médias tendront à le décrire comme une guerre complexe, où les aspects politiques, humains, sociaux, économiques, les rapports entre « puissances », etc., ont leur rôle. Bien sûr, ils intègrent que pour les belligérants intervient la question de la « purification ethnique », mais ils arrivent très bien à resituer ce discours dans les autres dimensions, pour n'en faire qu'un élément parmi d'autres, et en tout cas pas le plus important. Par contre, ils n'ont plus aucune distance critique avec « l'ethnicité » quand elle devient le « principe explicatif » d'une guerre en Afrique centrale ou en Afghanistan. On a même des cas qui seraient amusants s'ils ne s'appliquaient à des situations tragiques : la guerre du Liban fut décrite comme « essentiellement ethnique », le conflit israélo-palestinien est décrit comme « essentiellement politique ». Ça n'a bien sûr rien à voir avec la réalité du conflit, simplement, dans un cas, on a affaire à des « arabes » qui se battent entre eux, dans l'autre, les Israéliens sont ressentis comme « Européens », donc ils ne sont pas « ethniques ». Je ne suis pas certain que les Palestiniens ne soient considérés « ethniques », mais comme l'un au moins des belligérants est « non ethnique », le conflit aussi est « non ethnique ». Or, à y regarder de près, la guerre du Liban était très nettement politique et stratégique, et fort peu « ethnique », tandis dans que le conflit israélo-palestinien, la composante « ethnique » pourrait être considérée bien plus notable et prégnante – « ethnie arabe » contre « ethnie juive ».

Pourrait. Mais, de toute manière, les « conflits ethniques » ça n'existe pas. Ni en Palestine, ni au Liban, ni en ex-Yougoslavie, ni au Ruanda, ni en Tchétchénie, ni en Afghanistan, ni… Bref, nulle part. Ou du moins, ça n'existe plus, et ça ne peut plus exister. Ce qui ne signifie pas que, dans un conflit, et cela en Europe comme en Afrique, dans les Amériques comme en Asie, les gens intéressés à mobiliser les foules pour qu'elles les soutiennent dans un conflit ne vont pas jouer sur ce qu'on pourrait appeler la « pulsion ethniciste » : ce qui permet aux autorités israéliennes de convaincre leur population de se soumettre à une politique imbécile, meurtrière et, à la fin des fins, inutile, c'est, hélas, « la peur de l'Arabe » ; ce qui permet aux organisations terroristes palestiniennes de disposer d'un vivier apparemment inépuisable de « kamikazes », c'est autant ou plus « la haine du Juif » que le désir de « se libérer de l'oppresseur » ; si une majorité de Serbes était opposée à Milosevic[13], celui-ci a du moins pu trouver une minorité suffisante pour mettre en place sa politique de « purification ethnique » ; avec une propagande intensive, le pouvoir ruandais a su lui aussi trouver assez d'auxiliaires « ethnicistes » pour réaliser un des plus grands massacres du siècle. Bref, il n'est pas impossible de mobiliser des gens sur un mot d'ordre « ethnique » pour réaliser le pire. Mais en même temps, il ne faut pas trop prendre pour argent comptant cette ethnicisation des conflits – comme je le disais, dans le cas des Balkans ont voyait assez bien comment des personnes avant tout avides de massacrer à bon compte et sans grands risques se rangeaient sous ce prétexte « ethnique » sans y croire plus que ça. Pour ne prendre que le cas du Kosovo, on a su assez vite que ceux qui perpétraient les plus grandes atrocités étaient rarement des Serbes, mais un ramassis de mercenaires et de malfrats venus de toute l'Europe (y compris d'Albanie…) beaucoup plus motivés par le désir de commettre des exactions et de piller leurs victimes que par celui de « purifier » la province. Ma foi, au Ruanda, au Timor, il n'en va pas autrement, pourtant, donc, les médias et « l'opinion » acceptent pour ces pays l'explication « ethnique » sans grands problèmes.

Pourquoi ? Parce que. Parce que ce sont des pays « ethniques ».

Qu'est-ce qu'un pays « ethnique » ?

« ETHNIQUE adj. 1. Relatif à l'ethnie, aux ethnies. Forte diversité ethnique d'un pays. ♦ Purification épuration ethnique : noms donnés à l'entreprise d'appropriation exclusive d'un territoire par une population qui le revendique comme sien, au détriment d'une ou plusieurs autre populations occupantes auxquelles elle fait subir des violences physiques ou psychologiques. 2. LING. Nom, adjectif ethnique, dérivés d'un nom de pays, de région ou de ville. SYN.  : ethnonyme, gentité. 3. Se dit de ce qui relève, par sa nature ou son inspiration, d'une culture autre qu'occidentale. Cuisine, musique ethnique ».

…Se dit de ce qui relève d'une culture autre qu'occidentale. Nous sommes là au cœur de la question. Comme le dit Ursula Gauthier, « les Européens sont classés par nationalité, [que Michèle Tribalat] appelle "ethnie" par commodité » ; Je dis pour mon compte : on assiste à une opération de « political correctness » qui se révèle – comme souvent – de « political uncorrectness » si on y regarde d'un peu près, où, par souci de ne pas dénoter ses travaux comme racistes – les critères « ethniques » s'appliquant aux seules populations extra-européennes – notre chercheuse forge des « ethnies » européennes improbables (y compris une « ethnie belge ») qui, loin d'« avoir forgé des armes pour mieux lutter contre les discriminations raciales », en fabrique pour les partisans d'une vision raciste – rebaptisée ethniciste – du monde ; je devine la délectation de certains quand, s'appuyant sur ces travaux, ils diront ou écriront : « Vous voyez bien que la civilisation européenne (ou occidentale) est supérieure, puisque même une chercheuse de gauche comme Michèle Tribalat constate, parlant des ethnies espagnole ou italienne, que dans nos pays le sentiment d'appartenance ethnique transcende les particularismes pour aller vers l'universel, tandis que dans des pays moins évolués, elle perdure à un niveau régional, voire tribal ». D'ailleurs, ça a commencé : sur le site du MNR on s'appuie sur les recherches de Mme Tribalat pour étayer un discours qui ne lutte guère contre les discriminations raciales…

Que vise exactement Michèle Tribalat, qu'attendent, parmi ceux qui l'approuvent, ceux ayant de « bonnes » intentions ? Se doter, disent-ils, d'instruments d'évaluation de la population française (nationaux et étrangers) permettant de mettre en évidence certaines pratiques discriminatoires à l'encontre de certaines populations. Mais, y a-t-il besoin d'exciper d'une notion d'ethnicité pour savoir que certaines populations subissent des discriminations, et surtout, pour savoir lesquelles ? D'autant que ces discriminations ne s'effectuent pas sur une base rationnelle et « ethnique », mais bel et bien sur cette pratique irrationnelle, le racisme.

Un employeur refusant un emploi a Mohammed ben Yaya ou Mohand Khellil, cherchera-t-il vraiment à « affiner l'analyse » pour déterminer que le premier sera « ethniquement arabe », le second « ethniquement kabyle » ? Ça risque plutôt d'en rester au niveau de, « on va pas prendre un bougnoule ! » ; de même, messieurs van Trong, Liu et Sung seront indifféremment rejetés en tant que « chinetoques » ou « niaquoués » ou « citrons », quand à savoir si ils sont « ethniquement » vietnamien, chinois ou coréen, c'est un peu trop subtil, pour un « discriminateur ». Est-ce sur un critère « ethnique » que tel policier, lors d'un contrôle d'identité, « privilégiera » tels individus, que tels videurs de boîte de nuit diront, « toi et tes copains, vous ne rentrez pas » ? J'ai plutôt l'impression que ce sera par racisme (« RACISME n. m. 1. Idéologie fondée sur la croyance qu'il existe une hiérarchie […] entre les “races” » ; « RACE n. f. (Ital. razza) 1. Subdivision de l'espèce humaine en Jaunes, Noirs et Blancs selon le critère apparent de la couleur de la peau »). Qu'Antillais et Réunionnais d'ascendance dominante d'Afrique noire ne soient pas, selon les critères de Michèle Tribalat, des populations « ethniques », empêchera-t-il un propriétaire de leur refuser une location pour cause de couleur de peau, un flic en goguette de les identifier, au faciès, comme des « bamboulas » ? Non, bien sûr. Donc, invoquer comme Patrick Simon la « précarité ethnique » comme base ou moteur de la « précarité sociale » est infondé, c'est bel et bien sur la « précarité raciale », en tant que « la race » est encore, pour beaucoup de Français « non ethniques », un moyen valable d'analyse de la réalité humaine, que se fondent les discriminations.

Je ne fais pas une confiance aveugle aux enquêtes annuelles de la CNCDH[14] sur la question, néammoins il m'intéresse de savoir, grâce à elles, qu'en l'an 2000, 69% des personnes interrogées n'hésitaient pas à se déclarer peu ou prou « racistes ». Et 60%, à considérer qu'il y a « trop de personnes d'origine étrangère » en France. On peut le présumer, peu importe pour ces racistes qui n'aiment pas les étrangers (l'aurait-on cru ?), de savoir à quelle « ethnie » appartiennent ces étrangers en trop, l'exclusivisme et la xénophobie n'ont pas vraiment besoin d'une définition fine des choses, il y a « nous », il y a « les autres », les « étrangers », et ça suffira bien pour « décrire le réel au mieux »… Que les « théoriciens du racisme » affinent les choses, qu'ils s'inquiètent, de longue date, de la « corruption de la race [de l'ethnie] française » par l'apport de population exotiques – européennes ou extra-européennes –, qu'ils s'ingénient à faire de savantes distinctions entre les apports positifs qui « vivifient le sang » et ceux négatifs qui le « corrompent », j'en suis d'accord ; cela posé, le « niveau d'analyse » du discriminateur de base s'accommode de représentations simples, les nègres, les bicots, les jaunes, les « Hindous » forment des « catégories fonctionnelles » très suffisantes, les distinctions « ethniques » se reportant sur les seules populations européennes, les chleuhs (regroupant les Allemands, les Autrichiens et les Suisses alémaniques), les spaghettis, les rosbifs, avec une « simplification ethnique » vers l'est, l'ensemble des populations d'Europe orientale et centrale formant « l'ethnie » les popovs…

Que Michèle Tribalat et ses partisans cherchent à affiner les catégories ethniques pour les populations extra-européennes (pour celles européennes, la qualification “subtile” en « ethnies » italienne, portugaise, allemande, espagnole, belge reprenant celle plus sommaire en ritals, portos, frisés, espingouins, cons) n'est donc pas d'un apport considérable pour la compréhension des mécanismes discriminatoires à l'œuvre dans la société française. Les affirmations de Michèle Tribalat, selon qui « le recours à l'ethnie » lui a permis d'« avoir forgé des armes pour mieux lutter contre les discriminations raciales », celles de Patrick Simon pour qui, nous dit Le Monde, « la référence aux origines se fait au nom de la lutte contre la xénophobie », sont contredites par la réalité : ceux qui se prévalent de ces travaux « ethniques » pour porter une analyse sur la situation française sont leurs supposés « adversaires idéologiques », de la droite extrême à l'extrême droite… Et aussi, depuis quelques temps, une gauche auto-proclamée « réaliste » dont on ne sait pas trop si elle s'est sincérement découverte « ethniciste » ou si, plus pragmatiquement, elle estime que récupérer un certain discours d'exclusion (et de répression policière et judiciaire contre les « classes dangereuses » : les « jeunes », les « clandestins », les habitants des « zones de non droit »…) est électoralement porteur.

Ma question, dans cette partie, porte donc sur ce qui fera d'un pays qu'il est ou non « ethnique » : si l'on prend deux pays somme toute assez comparables, l'Espagne et l'Algérie, on a dans l'un et l'autre un certain nombre de « groupes ethniques » au sein d'un État-nation, pour l'un est portée une « analyse » globalisante rassemblant les divers groupes dans une « ethnie espagnole » indémontrable, l'autre est divisé en deux « ethnies » censées représenter l'ensemble de ses composantes, alors qu'une meilleure analyse recense au moins quatre « ethnies » principales, les Kabyles, les Arabes, les Mozabites et les Bédouins ; comme le remarque assez justement Ursula Gauthier, « en Afrique noire, le souci du détail devient plus extrême encore, et moins pertinent », sauf pour cette introuvable « ethnie mandé ». Pour dire les choses, si même on devait accepter la notion d'ethnie, l'application que nous en propose Michèle Tribalat ne correspond à rien de scientifiquement fondé. Pour moi, c'est simple : quand un catégorie posée comme « scientifique » se révèle à l'analyse non scientifique, il s'agit d'une catégorie idéologique. Conclusion pour cette partie, la réponse à ma question, qu'est-ce qu'un pays ethnique ?, n'a guère d'importance, du moins dans le cadre de l'analyse des travaux de Michèle Tribalat sur « l'ethnicité ». Et ce n'est en tout cas pas dans ces travaux qu'on la trouvera. Par contre, il m'intéresserait d'avoir la réponse à cette autre question : quelle est l'idéologie sous-jacente à ces travaux qui se parent de scientificité ?

Fausses évidences.

L'enfer est pavé de bonnes intentions, science sans conscience n'est que ruine de l'âme, à père avare fils prodigue et qui se ressemble s'assemble. Ce qui, traduit pour cette discussion, signifie que si son but était de doter les antiracistes d'outils d'analyse du réel, force est de constater que Michèle Tribalat en fournit surtout aux racistes ; que quand, comme elle le fait, on ne s'interroge guère sur les notions et les termes qu'on manipule (« français de souche », « appartenance ethnique ») d'autres le feront pour vous, souvent assez différemment de ce que vous en espériez ; que quelles qu'aient été les intentions de notre chercheuse, on trouve les enfants de ses travaux dans ceux de Jacques Dupâquier, dans les déclarations de Xavier Rauffert, les éditoriaux de Serge de Becketch, dans les travaux de sénateurs très à droite sur la délinquance des jeunes ; et que, finalement, quand elle est invitée à un colloque « de gauche » où ses concepts sont discutés, ou à un autre de droite (sans guillemets…) où ils sont, hem !, mis en valeur, à la mise en cause mesurée de ceux « de son camp » elle semble préférer l'approbation sans réserves de ses « adversaires idéologiques », puisqu'elle ne se rend qu'au second colloque.

Soyons clair : je ne mets pas en doute la bonne foi de Mme Tribalat, et lui accorde bien volontiers que son projet initial était à la fois de « décrire le réel au mieux » et de « [forger] des armes pour mieux lutter contre les discriminations raciales ». Maintenant, nous avons les résultats. Qui sont tout autres. Michèle Tribalat est-elle ou non une staticienne, démographe et chercheuse à l'INED ? Si oui, alors, face à l'échec patent de ses travaux elle doit remettre en cause ses catégories, ses modèles, sa terminologie. Or, loin d'agir ainsi, et plutôt que d'accepter la discussion avec ses contradicteurs[15] elle préfère les disqualifier dans le cadre d'un colloque d'orientation douteuse, ou leur faire des procès par voie de presse puis par voie de justice… Mais peut-être a-t-elle été « piégée » par son employeur, l'INED ? Au fait, c'est vrai : suis-je assez prudent ? Les procès volent bas, par les temps qui courent, quand on remet en cause les méthodes, les concepts et les visées de l'INED et de ses chercheurs…

Au-delà de toute polémique, Michèle Tribalat base ses recherches « ethniques » sur de fausses évidences : « l'ethnicité » ou « l'ethnicisation » de la société française ; le fort sentiment d'appartenance ethnique pour les populations « ethniques » – entendez, extra-européennes ; en sens inverse, la faible « ethnicité » des Européens n'est pas évidente (Pour nombre Espagnols, Italiens, Belges, le « sentiment d'appartenance » est d'abord régional, ensuite national ; c'est aussi vrai pour une part non-négligeable de la population « française de souche ») ; et au plan des résultats, dans les conclusions comme dans l'impact attendu, ça n'est pas formidable. Il vaut le coup de citer l'article intitulé « Appartenance ethnique », paru dans le numéro 300, intitulé « Les immigrés et leurs enfants », de la revue de l'INED Population et Société :

« L'enquête permet, à travers les informations sur les langues maternelles, de donner une dimension statistique à la réalité ethnique. Les informations sur la répartition ethnique de l'immigration algérienne datent de l'immédiat après-guerre. Or la place des Berbères dans le flux algérien n'est pas aussi importante qu'on le dit[5] : 28% seulement en 1992 contre environ 60% en 1950, d'après les estimations de l'époque[6]. L'émigration algérienne a commencé en Kabylie mais s'est ensuite généralisée à toute l'Algérie. «
Autre idée reçue, celle d'une importante colonie kurde en France : les Kurdes ne représentent dans l'enquête que 7% des migrants turcs, ce qui est conforme à la proportion en Turquie selon les recensements officiels. Il est vraisemblable que ces recensements sous-estiment la minorité kurde. La population des migrants turcs n'est donc pas marquée par une surreprésentation des Kurdes, au contraire. «
Le courant des migrants d'Afrique noire est composé d'une part de travailleurs venus d'un milieu rural et analphabètes, d'autre part de migrants d'un niveau social assez élevé, venus pour étudier ou pour demander l'asile politique. Les premiers appartiennent aux groupes ethniques mandé et peulh (deux tiers ne sont pas allés à l'école) et sont de confession musulmane. Les autres groupes ethniques sont soit musulmans (woloff) soit chrétiens et/ou animistes (ethnies de langue Kwa) soit de confessions diverses (Bantu, notamment). Au total, environ 40% des migrants d'Afrique Noire appartiennent à des ethnies de confession musulmane. L'existence de ménages polygames ne s'observe en France que parmi les Mandés qui représentent un peu moins du quart de la population venue d'Afrique noire ».

[5] Salem Chaker : « Quel avenir pour la langue berbère », in : Hommes et Migrations, Les Kabyles de l'Algérie à la France, n°1179, septembre 1994.
[6] Jean-Jacques Rager : Les musulmans algériens en France et dans les pays islamiques,Les Belles lettres, Paris, 1950.

J'aurais formulé différemment la première phrase de l'article : l'enquête permet, à travers les informations sur les langues maternelles, de donner une réalité statistique à la « dimension ethnique ». La « réalité ethnique » n'est pas, comme semble le croire Michèle Tribalat, une affaire objective d'« appartenance ethnique » (langue maternelle) ou d'« origine ethnique » (lieu de naissance – ce point étant de toute manière problématique) mais un fait subjectif, le sentiment d'appartenance. On peut être « d'origine algérienne » et « d'appartenance kabyle » selon les critères de l'enquête, et déclarer fièrement, à une question sur le « sentiment ethnique », « Moi, je suis Français, madame, 100% Français ! ». D'où ce paradoxe déjà évoqué : prétendant – selon Patrick Simon – contribuer à dissocier les « ethniques » de leurs origines, cette « objectivation » les y renvoie assez sèchement. Au fond, peu importe que les 60% ou 28% de « Kabyles ethniques » se reconnaissent dans cette classification, « les statistiques » y pourvoient pour eux… Pour reprendre mon cas, si j'avais été un des enquêtés, j'aurais été classé « Kabyle ethnique », or je ne me reconnais nullement dans cette catégorie : je suis « Français ethnique avec ascendances diverses », dont belge et kabyle. Chacun a son propre rapport à ses ascendances, on peut par exemple, comme moi, assumer être à la fois « d'origine » française ET algérienne ET belge ET kabyle ET européenne ET africaine puis à la toute fin, se considérer « ethniquement humain ». « L'ethnicité » n'est pas un fait généalogique univoque mais un fait subjectif complexe.

Factuellement, « l'ethnicité » telle que définie ici correspond, non à la réalité de l'individu mais à la représentation que se fait l'enquêtrice de ce qu'est l'appartenace ou l'origine « ethniques » des immigrés et de leurs enfants. Pour continuer sur « ma » population ethnique, un « Kabyle ethnique » peut, en toutes circonstances se décréter Kabyle, Algérien, Français, ou se revendiquer selon les cas de l'une ou l'autre appartenance. Cas réels possibles :

  • Face à une administration, un « Kabyle ethnique » peut très bien énoncer, « Moi je suis aussi Français que vous ! Je veux qu'on respecte mes droits ! » ;
  • Dans une discussion sans enjeux particuliers, le même pourra dire, « En effet, je suis “d'origine kabyle”, enfin, à moitié » ;
  • Face à une injure raciste, il pourra dire fièrement, « Et alors ? Et bien oui, je suis Arabe et je t'emmerde ! ».

D'où il ressort que, lier « l'appartenance ethnique » à la « langue maternelle » est une simplification abusive qui ne peut rendre compte de la « réalité ethnique ». Simplification qui ressemble beaucoup plus à celles qu'accomplissent les racistes que les antiracistes. Ce qui, d'ailleurs, permet de comprendre pourquoi ce genre d'études est beaucoup plus intéressante et de manipulation plus facile pour la droite réactionnaire que pour la gauche progressiste.

Ce texte commence à devenir un livre… Je ne vais pas m'épuiser à démontrer l'évidence. Par contre, ce bref texte de notre autrice montre en peu de lignes à quel point son approche de « l'ethnicité » est… ethniciste (au mauvais sens du terme – s'il en est un bon), et combien même elle, qui a pourtant présidé à l'élaboration et la réalisation de l'enquête, a du mal a en tirer des informations pertinentes. Prenez par exemple le paragraphe sur les populations originaires de Turquie. Je sais bien quelles statistiques elle vise, néammoins, lisant « Il est vraisemblable que ces recensements sous-estiment la minorité kurde », je m'interroge : Michèle Tribalat parle-t-elle des statistiques turques, ou des ses propres données ? Lisiblement, elle part de l'hypothèse que ses informations sont vraies, du moins « plus vraies » que les données turques. Ce qui reste à démontrer.

Il n'est pas assuré qu'un Turc (nationalité) « ethniquement kurde » réponde que sa langue maternelle est le kurde ; on le classera alors « Turc ethnique » (les langues anatoliennes ne sont apparemment pas considérées un signe d'« appartenance ethnique »). Or, les Turcs n'ont pas le même rapport à l'outil statistique que Michèle Tribalat : pour elle c'est un instrument neutre, objectif, non-problématique ; quand elle ou ses enquêteurs affirment à l'enquêté que les données sont non-nominatives, ne serviront pas à (ceci) ou (cela), que la personne peut répondre en toute sécurité, etc., pour elle et ses enquêteurs, ça doit assurer et rassurer. Or notre enquêté turc vient d'un pays où l'administration fait beaucoup de promesses qu'elle tient rarement et vit dans un pays où l'administration lui a fait beaucoup de promesses qu'elle n'a pas toujours tenues (et oui, l'attitude de l'administration française vis-à-vis des immigrés est très différente de celle qu'elle peut avoir envers ses nationaux). On sait quelle attitude l'administration turque a relativement aux revendications de « kurdité », d'où l'on peut supposer sans risque qu'un certain nombre de « kurdes ethniques » affirmeront que leur langue maternelle est le turc. Par prudence. Combien ? 1%, 4%, 10%, 50% des enquêtés ?

Autre interrogation, d'où Mme Tribalat sort-elle que la présence « d'une importante colonie kurde en France » est une « idée reçue » ? Et d'abord, une idée reçue pour qui ? A mon avis, elle l'est d'abord et surtout pour elle-même. Si on en revient à la population qui a vraiment des « idées reçues » sur les populations immigrées, soit essentiellement les racistes, comme je le disais, leurs catégories sont plus sommaires que ne semble le croire Mme Tribalat : si même tel raciste arrive à un « niveau de finesse » allant jusqu'à distinguer « le Turc » de « l'Arabe », il n'ira pas au-delà. Et même, passant par le boulevard de Strasbourg, je pense – je sais – que son analyse sera encore moins évoluée : « Ben dis donc ! Y a beaucoup d'étrangers ! », cette catégorie lui suffisant largement à décrire la situation. L'antiraciste et le « sans opinion » ont-ils pour leur part une « idée reçue » quant à la proportion de Kurdes parmi les immigrés d'origine turque ? Fatalement, le « sans opinion » n'en a pas ; et l'antiraciste – en tout cas les antiracistes que je fréquente, lis, entends –, s'il a cette idée reçue, n'en fait pas souvent part. D'où j'en reviens à mon idée que cette « idée reçue » d'une population indéterminable serait plutôt une idée toute faite sur la population en France des Michèle Tribalat chercheuses à l'INED.

Idée reçue ? Non : autre idée reçue. Quelle est la première ? Puisque « la place des Berbères dans le flux algérien n'est pas aussi importante qu'on le dit », on en peut conclure que la première idée reçue est que ce flot serait important. Là, je l'admets : sans qu'on puisse vraiment dire que c'est une « idée reçue », au sens où une majorité de « Français non ethniques » ou autres pense cela (on en revient à mon [plus ou moins] raciste de base, qui ne se pose pas ce genre de question, « Kabyle » ou « Arabe », un bougnoule reste un bougnoule…), il se dit ici ou là qu'une part importante de l'immigration algérienne serait « d'ethnie kabyle ». Enfin, les gens ne parlent pas comme ça, ils disent, serait Kabyle, ça leur suffit. Ça me suffit aussi. Donc, la forte proportion de Berbères parmi les migrants Algériens serait une « idée reçue ». En fait, à bien lire ce qu'en dit notre enquêtrice, ce n'est pas si évident.

Elle tire son hypothèse « fausse idée », non pas des données de son enquête, mais d'une statistique sur les flux migratoires en 1992 : la proportion de migrants kabyles cette année-là est de 28%, mais quelle est-elle en 1990, en 1987, en 1980, en 1973 ? Surtout, quelle est la proportion de migrants kabyles sur la période allant de 1950 à 1992 ? Partant de 60% en 1950, selon que la proportion de migrants kabyles a continûment et lentement décru, qu'au contraire elle ait connu une poussée, disons, dans la décennie 1960, ou qu'au contraire elle ait connu un creux durant les décennies 1970 et 1980, ainsi et seulement ainsi on en pourra conclure que c'est une idée reçue ou un fait avéré. Comme le cas le plus vraisemblable est celui du maintien d'une forte proportion de Kabyles jusqu'au début des années 1970 puis une décrue progressive, le « taux cumulé » donnera, forte proportion de Berbères. Donc, ce n'est pas une idée reçue. Et pour finir sur ce point, la population « d'appartenance kabyle » formant 20% à 23% de la population algérienne, 28% de migrants Kabyles en 1992, ça indique bien qu'il y a une sur-représentation de cette « ethnie »…

On pourrait faire un livre entier sur le paragraphe « Afrique noire », pour y étudier l'imperfection notable de la définition faite des « ethnies », les erreurs manifestes concernant l'attribution des religions en fonction des ethnies, la manière quelque peu aventureuse d'estimer la répartition ethnique des migrants, et surtout, une longue partie sur ce que révèle ce court texte des représentations fantasmatiques de Michèle Tribalat concernant les négro-africains. Quant aux données objectives, elles ont à-peu-près la même valeur documentaire que celles concernant les Algériens et les Turcs. Je ne ferai pas ce livre. Je dirai que, au vu de sa prose, Michèle Tribalat est peut-être très compétente en matière de recueil des données, mais sensiblement très incompétente pour leur exploitation et leur analyse…

Au fait, j'oubliais un point important ! Notre autrice écrit donc :

« Les informations sur la répartition ethnique de l'immigration algérienne datent de l'immédiat après-guerre. Or la place des Berbères dans le flux algérien n'est pas aussi importante qu'on le dit : 28% seulement en 1992 contre environ 60% en 1950, d'après les estimations de l'époque ».

Ce qui confirme mon assertion, dans le premier texte de cette série, sur le fait que contrairement à ce qu'elle affirme, Mme Tribalat ne brise aucun « tabou », et celle à venir dans le texte suivant, m'appuyant sur des textes de François Héran et Sandrine Bertaux, qu'il n'y a nulle nouveauté dans la manipulation de données « ethniques » dans les enquêtes de la statistique publique : si elle peut s'appuyer sur des données de 1950 et 1992, cela implique qu'on utilisait des données « ethniques » à ces moments-là. Le problème étant, avec l'approche Tribalatienne, qu'il ne s'agit plus de données générales sur les origines de l'immigration à un instant T, mais de l'inscription de la donnée dans le recensement de la population, y compris la population française. Autant il peut être utile, dans un but de régulation de l'immigration à venir, de savoir d'où viennent les migrants actuels, autant il semble douteux, dans quelque but que ce soit, de recenser la population française à partir d'une classification « ethnique »…

Pour conclure.

Je ne connais pas Michèle Tribalat, je n'ai rien contre elle, ni comme personne, ni comme chercheuse, je suis persuadé que c'est quelqu'un de très sympathique, qui vote pour les Verts et est à jour de ses cotisations à la Ligue des Droits de l'Homme[16], je me pose simplement ces questions : comment s'est faite la décision d'introduire la notion d'ethnicité dans les études démographiques de l'INED ? Pourquoi ? Qui a pris la responsabilité de confier à une chercheuse une enquête importante, sans que les concepts à l'œuvre dans cette enquête « ethnique » soient évalués et validés ? Qui évalue la validité et l'opportunité des enquêtes et des questions de la statistique publique, et comment, au sein de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et du Conseil national de l'information statistique (CNIS) ? Une validation par ces organismes est-elle un gage de légitimé pour une enquête de l'INED – ou autre institut public d'études statistiques – comme semble le croire François Héran ? L'introduction d'un concept aussi problématique que « l'ethnicité » dans les enquêtes de la statistique publique est-il effectivement le « reflet de la réalité », comme l'affirme Michèle Tribalat, ou crée-t-elle cette « réalité » ? A quoi sert l'INED ? À qui sert l'INED ? Et corollairement, qui sert l'INED ?

Quoi qu'il en soit, et pour me répéter, si l'un des buts de Michèle Tribalat fut vraiment de donner des armes aux antiracistes, c'est complètement raté.

Olivier Hammam


Voir aussi ethnies #1ethnies #3ethnies #4
[1] « Des dérapages racistes à l'Ined ? », Nouvel Observateur N°1776, 19-25 novembre 1998, page 116. Disponible sur le site d'Alain Blum (bien qu'à ma dernière visite je le l'ai plus vu). On peut aussi le trouver sur ce site.
[2] En tout cas, nettement plus homogène que « l'ethnie » française ou « l'ethnie » espagnole…
[3] Article cité.
[4] Sur cette question, il y a l'ouvrage fort intéressant d'Amin Maalouf Les Identités meurtrières (Le Livre de Poche, 2001, ISBN : 2253150053), où il explique comment la majeure partie des humains, loin d'être « mono-ethnique », a des identités multiples – et comment en revanche les interlocuteurs cherchent bien souvent à les réduire à une identité simple…
[5] « Concept » est un bien grand mot : mon cher Larousse, toujours lui, me dit : « CONCEPT n. m. (lat. conceptus, saisi) 1. Représentation générale et abstraite d'un objet, d'un ensemble d'objets. Le concept de justice (un concept se définit selon sa compréhension et son extension.) 2. Définition des caractères spécifiques d'un projet, d'un produit, par rapport à l'objectif ciblé. Journal élaboré selon un nouveau concept ». Or, il apparaît que le « concept d'ethnicité » dans la version qu'en propose Michèle Tribalat ne correspond guère à la première acception (difficile de déterminer la compréhension et l'extension d'un objet où sont mis au même niveau des critères de représentation tantôt linguistiques, tantôt géographiques, tantôt généalogiques, et où l'on n'applique pas uniformément à une population donnée ces critères), ni à la seconde (il n'y a pas à proprement parler de « définition des caractères spécifiques » de « l'objet ethnie », et l'objectif scientifique ciblé – ce à quoi prétend notre chercheuse – est indiscernable).
[6] Article cité. Polémique assez virulente pour avoir débouché sur un procès, intenté par l'INED (Institut national des études démographiques) à l'encontre du chercheur… de l'INED Hervé le Bras, et cause de la publication de cet article (fort bien fait) d'Ursula Gauthier.
[7] Article « Deux "versions fortes" de la gauche républicaine », par Philippe Bernard et Nicolas Weill, Le Monde du 6 novembre 1998, p. 10.
[8] Dans Ursula Gauthier, article cité.
[9] Idem.
[10] « Une virulente polémique sur les données "ethniques" divise les démographes », par Philippe Bernard et Nicolas Weill, Le Monde du 6 novembre 1998, p. 10, lui aussi disponible sur le site d'Alain Blum, et bien sûr sur ce site
[11] Idem.
[12] Ursula Gauthier, article cité.
[13] Contrairement à la caricature largement diffusée dans les médias occidentaux, la majorité des Serbes était contre Milosevic, sa politique et ses idées aberrantes ; on a du mal à s'en souvenir, parce que, force m'est de le constater, tous les grands médias se sont attachés à effacer la chose, mais à deux reprises les partis qui soutenaient Milosevic furent battus à des élections, en 1995 et 1997, et s'il s'est maintenu au pouvoir, ce fut contre son peuple, en annulant purement et simplement le résultat de ces électiosn… A mettre en rapport avec la (non) prise en compte de la « dimension ethnique » du conflit yougoslave : d'un côté, les médias considéraient que le pouvoir serbe était une dictature, ce qui implique qu'il gouvernait en dépit des aspirations du peuple ; en même temps, la Yougoslavie en tant que pays européen, ne pouvait qu'être « substantifiquement démocratique », ce qui impliquait le consentement du peuple à être gouverné par Milosevic. Dira-t-on, une « dictature démocratique ». Pour moi, la facilité, qu'on peut juger déconcertante, des médias occidentaux à accepter la propagande aberrante de l'OTAN pour tout ce qui avait rapport au conflit yougoslave venait de cette impossibilité à intégrer qu'il puisse y avoir une dictature dans un pays européen : si les Serbes avaient ce gouvernement, c'est qu'ils adhéraient à son programme, donc ils étaient « responsables » de tout ce que ce gouvernement faisait…
[14] Commission nationale consultative des droits de l'homme, une institution directement placée sous l'autorité du Premier ministre.
[15] Qui, soit-il précisé, sont pour leur plus grand part très modérés, et dont beaucoup ne contestent pas l'introduction des études « ethnniques » dans la statistique publique mais font des critiques techniques, soit méthodologiques soit conceptuelles. Le cas « emblématique » d'Hervé Le Bras, quand on se penche sur la réalité des contributions au débat, est en fait le contraire d'un cas emblématique, des personnes comme Alain Blum (Démographie et catégories ethniques - La nécessité d'un débat de fond que l'on trouvera également sur ce site même) ou François Héran (La fausse querelle des catégories ''ethniques'' dans la statistique publique, lui aussi disponible sur ce site), le premier pour une critique pondérée des enquêtes en cours, le second pour une mise en cause de la nouveauté radicale postulée par Michèle Tribalat de ses études « ethniques », mais aussi une critique acerbe des positions de Le Bras, sont bien plus représentatifs de l'état du débat. Concernant d'ailleurs ce débat, on trouvera des choses intéressantes sur le site de Pénombre ; il y a aussi les actes du colloque organisé par la CGT-INSEE sur le sujet.
[16] Quand donc se décidera-t-on à dire Droits de l'Humain ?