PRÉC. SOMM SUIV.
Gregory Bateson - Vers une Écologie de l'esprit
Forme et pathologie des relations sociales

- III.II.6 - Commentaire sur la troisième section -

Au cours des exposés rassemblés dans cette troisième partie, j’ai parlé à plusieurs reprises du fait qu’une action ou une énonciation apparaissent toujours à l’intérieur d’un contexte, ce qui laisse entendre que l’énonciation ou l’action considérées seraient des variables « dépendantes », tandis que le contexte serait la variable « indépendante » ou déterminante. Toutefois, cette manière de concevoir le rapport de l’action à son contexte peut avoir pour conséquence d’empêcher le lecteur — comme cela m’est arrivé à moi-même — de percevoir Pécologie des idées, dont l’ensemble constitue le petit sous-système que j'appelle « contexte ».

Il est absolument nécessaire de corriger cette erreur heuristique, qui provient, comme tant d’autres, d’une analogie avec les concepts qui ont cours en physique et en chimie.

Il est important, en premier lieu, de considérer telle action ou telle énonciation comme des parties du sous-système écologique appelé contexte, et non comme produit ou résultat de ce qui reste du contexte, une fois que l’élément que nous voulons expliquer en a été retiré.

ll s’agit ici de la même erreur formelle que celle dont j’ai parlé dans le Commentaire sur la deuxième section[*], à propos de l’évolution du cheval. Nous aurions tort de penser que cette évolution ne résulte que d’un ensemble de transformations dans la façon dont l’animal s’adapte à la vie dans des plaines herbeuses ; elle s’explique, bien plutôt, par une constance dans la relation entre l’anirnal et son milieu. Car c’est l'écologie qui survit et évolue lentement. Dans cette relation, les termes en rapport — le cheval et l’herbe — sont soumis à certains changements, qui, certes, peuvent être décrits comme adaptatifs pendant une période délimitée. Cependant, si les processus d’adaptation étaient à eux seuls explicatifs, il ne pourrait y avoir de pathologie systémique. Les troubles viennent, justement, de ce que la « logique » de l’adaptation est une « logique » différente de celle de la survie et de l’évolution du système écologique.

Pour reprendre l’expression de William Brodey, 1e « grain de temps » de l’adaptation est différent de celui de l’écologie.

La « survie » signifie que certaines des descriptions d’un être vivant déterminé continuent d’être vraies pendant une période de temps donnée, inversement, l’« évolution » se rapporte aux transformations qui affectent la vérité de certaines descriptions de l’être vivant. Il faudrait donc pouvoir préciser quelles affirmations relatives à quels systèmes restent vraies, et lesquelles subissent des transformations.

Les paradoxes (et les pathologies) du processus systémique sont, précisément, dus au fait que la constance et la survie d'un système plus vaste sont maintenues par des changements survenant dans les sous-systèmes qui le composent.

La constance relative de la relation entre l’animal et son milieu (la survie) s’explique par des changements dans les deux termes en rapport Tout changement adaptatif, affectant l’un ou l’autre de ces deux termes, qui ne serait pas compensé par un changement dans l’autre terme, ne pourrait que mettre en danger la relation entre les deux termes en question. Cette thèse débouche sur un nouveau cadre conceptuel pour l’hypothèse de la double contrainte et pour l’approche de la schizophrénie, ainsi que sur une nouvelle façon de concevoir le contexte et les niveaux d’apprentissage.

Autrement dit, la schizophrénie, l’apprentissage de second degré et la double contrainte ne peuvent pas être limités au domaine de la psychologie de l'individu, mais relèvent de l’écologie des idées organisées en systèmes ou « esprits » (minds), dont les frontières ne coïncident plus avec les limites des individus qui y participent.


[*] Cf. vol. I de cette édition, p. 221-224.


Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit.
Traduit de l'anglais par Perial Drisso, Laurencine Lot et Eugène Simion (t. I & II) ;
avec le concours de Christian Cler (t. II)
© Éditions du Seuil, Paris, 1977 (t. I), 1980 (t. II) pour la traduction française,
Tome I : ISBN 978-2-02-025767-1 (ISBN 2-02-0O4700-4, 1ère publication ; ISBN 2-02-012301-0, 2e publication)
Tome II : ISBN 978-2-02-053233-4 (ISBN 2-02-013212-5, lø publication)


Titre original: Steps to an Ecology of Mind
édition originale: ISBN 345-23423-5-195,
© Chandler Publishing Company, New York, 1972