Clonage humain, 2 : une thérapie reproductrice

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Débuté lundi 6 janvier 2003 05:13:16

 H ypocrisie, langue de bois, correction politique, quand vous nous tenez ! Avant de poursuivre le mien, lisez donc ce texte, il vaut le coup d'œil.


Je trouve ça fascinant. Ça n'est pas tant le fond, somme toute assez commun, Mme Lenoir dit tout haut ce que tout le monde pense et dit tout haut, elle se place résolument dans le sens du courant et évite tant que se peut de faire des vagues. Je ne voudrais pas l'accabler, elle n'intervient pas en son nom mais au titre de présidente du Zébulon cosmique (ou assimilé), et du fait doit mesurer ses termes et donner l'avis de son Groupe. Mais, il y a mesure et mesure…

Par exemple, évoquer « un habile compromis éthique » me laisse perplexe : il y a donc moyen de faire des compromis en ce domaine ? Notre amie serait-elle adepte du fameux « compromis éthique » énonçant que « tous les hommes naissent égaux, mais certains naissent “plus égaux” que d'autres » ? Et au fait, en quoi consiste cet « habile compromis éthique » ? « Il donne le feu vert à un financement fédéral des recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires existantes, sans remettre en cause ses engagements électoraux de s'opposer aux recherches impliquant la destruction d'embryons ». Je dois être un imbécile, c'est sûr, j'en suis un, car je n'arrive pas à comprendre comment on peut faire « des recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires » sans « destruction d'embryons ». Enfin si, je comprends un peu, ou crois comprendre. Dans le texte intitulé « Eugénismes », j'évoquais justement toutes ces discussions infinies qui se déroulèrent de l'hiver 2000/2001 jusqu'au 11 septembre 2001, date à partir de laquelle le principal thème d'actualité fut tout autre, discussions tournant autour du statut de l'embryon. J'y disais, pour me citer :

« […] Il y avait quatre grandes questions : quel nom donner aux embryons « préhumains » — on disait : « qui ne sont pas encore des personnes » ? À partir quel nombre de divisions un embryon devient-il une personne ? Quel est le statut des embryons qui ne sont pas des personnes ? Qui peut décider quoi faire avec les embryons « surnuméraires » pour lesquels les parents putatifs n'ont plus de « projet parental » ? »

Dans l'interview de Noëlle Lenoir, on trouve une (possible) réponse à la première question quand elle parle de « lignées de cellules souches embryonnaires » ; cette réponse implique qu'il y en a aussi une pour la deuxième question : jusqu'à un certain nombre de divisions, nous avons des « lignées de cellules souches embryonnaires », au-delà nous avons des embryons. Dès lors on a des bases pour répondre aux deux dernières. Par exemple, M. Bush peut autoriser un certain type de recherches sur un certain type de « matériels humains », dès lors que ces « matériels » correspondent à la définition légale ou réglementaire de « lignées de cellules souches embryonnaires ». Il n'y a pas de destruction d'embryon car ce n'est pas un embryon. Voilà comment on réalise « un habile compromis éthique ». Avec ce précédent, « L'Union européenne (sic) [pourra] clarifier le statut juridique des cellules-souches humaines ». « Pouvez-vous préciser ? », demande l'interviouveur, et Mme Lenoir de préciser :

« Les cellules-souches sont avant tout des produits […] ; elles sont soit assimilées à des "dispositifs médicaux" […], soit considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM), dans le cas où elles font l'objet de modifications génétiques. Par ailleurs, le droit européen interdit de délivrer des brevets aux laboratoires qui utilisent des embryons humains à des fins commerciales ou industrielles. Or, les cellules souches prélevées sur des embryons serviront bien à un usage industriel, pour mettre au point des traitements. Il faut remédier à cette apparente contradiction, car la recherche et la médecine ont besoin de sécurité juridique pour progresser. Le Groupe européen d'éthique travaille sur la question de la brevetabilité des cellules souches embryonnaires humaines et va essayer de trouver des réponses cohérentes d'ici à la fin de l'année ».

Qu'en des termes choisis ces choses-là sont dites… On ne peut guère être plus clair que l'est Noëlle Lenoir : la loi interdit les brevets sur les embryons, changeons la définition de l'embryon pour permettre aux industriels de tourner la loi. On admirera au passage toute l'élégance du style technocratique : « Les cellules-souches [sont] considérées comme des organismes génétiquement modifiés (OGM), dans le cas où elles font l'objet de modifications génétiques »

Certains lectrices et lecteurs se disent sûrement : c'est idiot, si l'on veut permettre de telles recherches, changeons la loi en ce sens plutôt que de faire ces contorsions improbables — et en outre vouées à l'échec, mais c'est une autre question. Si vous pensez cela, vous n'avez pas tout-à-fait compris les enjeux. Il ne s'agit nullement de permettre des recherches à visée thérapeutique sur des embryons, pour cela nul besoin de changer la loi, il s'agit de « délivrer des brevets aux laboratoires qui utilisent des embryons humains à des fins commerciales ou industrielles ». Si par hasard vous avez lu « Eugénismes » et tiqué sur le passage où j'écris que « notre futur tend plutôt, “si tout va bien”, vers Le Meilleur des Mondes, non l'élimination des déviants mais la sélection des bons germes », notre gentille et éthique technocrate Noëlle Lenoir vous aidera je crois à mieux apprécier qu'on se rapproche assez vite du Meilleur des Mondes.

Enfin, non, mais c'est une autre histoire, celle justement discutée dans « Eugénismes » concernant l'ineptie d'un projet de sélection des « caractères jugés favorables ». Mais ce n'est pas le premier et ce ne sera probablement pas le dernier projet inepte mené avec tous les moyens des États, de l'Industrie, de la Finance, de la Science et des chercheurs de pointe.


Noëlle Lenoir m'intéresse en tant que modèle de ce type de personnes à la confluence de l'administration publique, des institutions politiques et de l'entreprise privée qui dirigent actuellement nos sociétés, et dont le but n'est pas d'œuvrer pour le bien commun, comme on l'attendrait des officiers publics, politiciens et entrepreneurs, mais d'adapter les lois et les institutions pour leur plus grand profit. Pour me citer encore, dans « Eugénismes » j'écrivais que « la question [du nombre de cellules à partir duquel un embryon sera dit embryon] a un caractère d'urgence du fait de ces projets de clonage “non reproductif” ; elle a en outre un caractère de nécessité […]. Des recherches sont en cours, et si l'on n'y répond pas, un certain nombre de chercheurs passeront du statut de scientifiques à celui de criminels contre l'humanité », ou (sic) « criminels internationaux », selon les termes de notre présidente et professeureu d'éthique à périmètre variable.

La logique et la morale réclament, ce me semble, que le législateur cherche à définir les moyens d'empêcher des personnes physiques ou morales et des États d'aller à l'encontre des règles d'éthique fixées par le droit. Or, et si j'ai bien lu ses déclarations, le but de Mme Lenoir semble de trouver un moyen pour permettre à certains lobbies de tourner les règles en question, ce qui paraît assez peu « éthique »[1]. Toujours en rapport à cette question, et toujours pour me citer, dans la première livraison de cette série, « Clonage humain, 1 : c'est pour demain », j'écrivais :

« Si des groupes financiers et industriels puissants ont dans l'idée que le clonage humain représente un “marché porteur”, il se peut bien qu'ils travailllent à faire évoluer les préjugés de “l'Opinion” sur la question ; et dans ce cas, si Mme Lenoir veut continuer à faire ministresse de l'Europe, il lui faudra quelque peu réviser ses catégories concernant le (sic) “crime international”. Quoiqu'en lisant l'interview du 16 août 2001, on voit qu'elle aura peu d'efforts à faire ».

Je ne me dédis pas : en août 2001, la tension « éthique » se faisait entre le désir fantasmatique et subjectif de « l'éternelle jeunesse » que semblait promettre le supposé clonage thérapeutique, la peur tout aussi fantasmatique et subjective de l'eugénisme à la Huxley, et la tension pragmatique entre la nécessité de ne pas effrayer « l'Opinion », laquelle est parfois aussi l'Électeur, et celle de positionner ses industries nationales le mieux possible dans un « créneau porteur », le marché de l'Éternelle Jeunesse justement. Le législateur européen tenta d'adapter ses règles, à l'instar de celui étatsunien ou britannique, de manière à réaliser les deux choses. Je ne me rappelle plus si ça se fit, il me semble que non, mais peu importe, les États-membre — voir le cas des Britanniques ou, dans le domaine de la chasse, le cas de la France — savent passer outre règles et directives si le « rapport coût/bénéfice » leur semble financièrement et/ou électoralement favorable. Donc, on change les règles pour autoriser les (sic) « recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires », dit autrement, « autoriser le (sic) clonage (sic) thérapeutique »[2]. Je suis naïf, donc, et irrémédiablement : imaginons que pour des raisons éthiques l'on décide d'interdire les recherches sur la restauration de la fonction ambulatoire des membres inférieurs humains ; imaginons que pour une quelconque raison des industriels ou des gouvernements soient intéressés par ce type de recherches ; imaginons toujours que, pour quelque raison, on ne puisse décidément pas les autoriser ; le législateur, face à ces tensions, fixera comme règle qu'on pourra faire des recherches sur les membres inférieurs dextres en s'interdisant celles sur les membres inférieurs senestres. A votre avis, si l'on parvient à faire fonctionner la jambe droite, pourra-t-on ou ne pourra-t-on pas faire fonctionner celle gauche ? À votre avis toujours, si l'on peut faire fonctionner la jambe gauche, la fera-t-on fonctionner ou non ? Dès lors qu'on se décide à « autoriser le clonage thérapeutique », on autorise de facto celui reproductif, car qui peut le plus peut le moins, et en l'état de l'art il est beaucoup plus simple de faire du clonage reproductif que du clonage thérapeutique. Pour préciser, si même l'on y parvient un jour, la création de « lignées de cellules souches embryonnaires » serait un cas particulier ou plutôt une amélioration (technique, s'entend) des méthodes de création de clones reproductifs ; pour préciser mieux, pour en arriver au clonage thérapeutique il faut d'abord en passer par une mise au point fiable du clonage reproductif…


L'interview de Noëlle Lenoir s'achève ainsi :

Y a-t-il, selon vous, au sein de l'Union européenne, un socle solide, un puissant consensus contre la pratique du clonage reproductif ?

Le clonage reproductif n'a pas, en effet, pour finalité de se procurer des cellules-souches, mais de faire naître des bébés comme clones presque parfaits de leur géniteur. Le consensus européen pour le condamner vient d'être rappelé à l'occasion de l'adoption à Nice, sous la présidence française, de la Charte des droits fondamentaux des citoyens européens. Le consensus est aussi, me semble-t-il, mondial. La Déclaration de l'Unesco sur le génome humain et les droits de l'homme, qui demande aux Etats de l'interdire, n'a-t-elle pas été approuvée en 1998, à l'initiative de la France, par les Nations unies ? Il est urgent de transformer cette invite en une prescription obligatoire, comme le suggèrent la France et l'Allemagne. Compte tenu des débats récents aux Etats-Unis, je ne pense pas que ce pays, qui avait fortement soutenu la Déclaration sur le génome humain, s'y opposerait aujourd'hui.

Les pays devraient criminaliser cette pratique, comme l'a fait la Grande-Bretagne, et certains d'entre eux pourraient même aller jusqu'à la reconnaissance d'une compétence universelle de leurs juges pour poursuivre les auteurs de tels agissements. Fabriquer des clones humains devrait être considéré comme un crime international, "d'une gravité telle qu'il touche l'ensemble de la communauté internationale", pour reprendre une expression du Conseil constitutionnel français en 1999.

D'abord un hommage ému au style toujours si enlevé de notre amie éthicienne : prend-elle son interlocuteur ou ses éventuels lecteurs pour des demeurés, qu'elle croie devoir énoncer que « le clonage reproductif [a pour finalité] de faire naître des bébés comme clones presque parfaits de leur géniteur » ? En fait oui, du moins pour les lecteurs : nettement, elle considère “le public” comme « tendantiellement mal-efficient sur le plan mental », pour user d'une périphrase « à la Lenoir ». Qu'elle nous prend pour des débiles.

Lisant avec attention son interview, vous aurez remarqué deux choses : elle nomme éthique ce qui ressort de la norme, puisqu'explicitement tout ce qui n'a pas fait l'objet d'une règle, d'une traité, d'un accord, d'une loi, d'une directive, ne la concerne pas ; c'est étrange, en ce sens que dans la logique des choses un comité d'éthique est justement là pour fixer la norme, alors que dans le discours de Noëlle Lenoir, il semble au contraire que la norme doive fixer les orientations de son — prenez votre souffle — « Groupe européen d'éthique des sciences et des nouvelles technologies » ; ensuite, et c'est le plus remarquable, toutes ces questions sur le clonage semblent l'affaire exclusive de « spécialistes » (scientifiques, juristes, politiciens, hauts fonctionnaires) et de groupes de pressions politiques et économiques ; les citoyens ? Circulez, il n'y a rien a voir. C'est très apparent avec le fameux « habile compromis éthique » de George W. Bush, lequel consiste en, d'un côté satisfaire les demandes pressantes des scientifiques et des industries de la bio-ingénierie, de l'autre donner l'impression aux imbéciles qui l'ont élu qu'il tient ses promesses électorales : importe peu qu'il le fasse pour autant que les électeurs croient qu'il les tient. Instructif, quant à la manière dont Noëlle Lenoir et ses semblables abordent les questions de rapports de pouvoirs et de prises de décisions — à remarquer que le terme « démocratie » et ses dérivés sont exclus de son vocabulaire.

Dans la conclusion transparaît la perméabilité de Noëlle Lenoir à une possible révision de ses critères en matière de « crime international ». Mes études en sciences du langage m'apprirent à ne pas interpréter ; comme un juriste je lis et pèse tous les termes, toutes les propositions, toutes les tournures, non pas pour comprendre « ce que veut dire » la personne qui s'exprime mais ce qu'elle dit. Et Mme Lenoir, à la question assez claire de Jean-Yves Nau, « Y a-t-il, selon vous, au sein de l'Union européenne, un socle solide, un puissant consensus contre la pratique du clonage reproductif ? », répond assez clairement : non. elle ne dit pas explicitement non, mais elle le dit clairement.

D'abord, elle ne confirme pas qu'il y a un « socle solide » sur la question, ni même instable, parce qu'il n'y a pas de socle. Il existe peut-être un consensus sur la question, mais qui ne s'appuie pas sur un « socle », sur des textes législatifs au niveau européen ou des États ; comme le rappelle Mme Lenoir, « les Etats membres de l'Union ont des législations contrastées, depuis la Grande-Bretagne, qui vient d'autoriser le clonage thérapeutique, jusqu'à l'Irlande, dont la Constitution exclut toute recherche sur l'embryon », sans compter ceux qui, comme aux Pays-Bas, interdisent que l'on pratique chez eux le clonage reproductif mais autorisent l'accouchement de clones sur leur territoire… Et sans compter ceux qui n'ont pas de législation spécifique sur la question. Ensuite, si elle parle bien d'un « consensus européen pour condamner » le clonage reproductif, qui « vient d'être rappelé […] à Nice, sous la présidence française », consensus qui « lui semble » mondial, il y a un léger modérateur : ce consensus n'est ni éthique ni moral, mais rapporté à l'adoption de la « Déclaration de l'Unesco sur le génome humain et les droits de l'homme ». Ergo, les pays qui ne reconnaissent pas cette déclaration ne sont pas tenus par elle. Telle la Grande-Bretagne. Tels les États-Unis. Telle la Chine. Telle la Russie. Comme le dit encore Mme Lenoir, « Compte tenu des débats récents aux Etats-Unis, je ne pense pas que ce pays, qui avait fortement soutenu la Déclaration sur le génome humain, s'opposerait aujourd'hui » à ce que le clonage reproductif soit mondialement interdit. Je doute, car les États-Unis ont montré à plusieurs reprises qu'ils peuvent très bien se faire, pendant un temps, les ardents défenseurs d'une cause, comme la libéralisation totale des échanges dans le domaine agricole, comme l'adoption de mesures contraignantes pour l'environnement et les industries polluantes, comme l'interdiction des mines anti-personnelles, de retarder leur adhésion aux protocoles en cours pendant un temps parce que les trouvant trop peu contraignants, puis pendant un autre temps parce que les trouvant trop contraignants et à la fin, refuser de signer[3]

Il y a des moment où l'on doit cesser d'être idiot — ou de prendre les autres pour des idiots — ; bien sûr que les États-Unis ont un temps « fortement soutenu la Déclaration sur le génome humain » : ils savent très bien que les opinions publiques de leurs principaux concurrents potentiels dans ce domaine, en l'occurrence les pays de l'UE, ont une forte tendance à un moralisme assez rigide et qu'en outre, depuis 1945, ils sont très sensibles à tout ce qui ressemblerait à quelque chose comme de l'eugénisme d'État ; ils savent aussi que leur propre opinion publique, quant à elle d'un moralisme souple, n'a pas la hantise d'un retour à la « solution finale » ; donc et contrairement aux pays européens, ça ne grevait pas leur futur de peser de tout leur poids en faveur de la Déclaration susdite : paradoxe, en cours de discussion les pays européens ont pu apparaître plus « eugénistes » que les États-Unis car ils savaient qu'en héritant d'une Déclaration de ce genre, ils seraient par fatalité amenés à l'adopter, alors que nos braves et si moraux Américains savaient qu'en sens inverse leur opinion ne les sanctionnerait pas politiquement s'ils refusaient de la parapher. Conclusion, contrairement à ce que déclare Mme Lenoir, je crois que le gouvernement des États-Unis s'opposera farouchement à toute tentative de moratoire ou de criminalisation concernant le clonage reproductif. Plus que de le croire, j'en ai la certitude.


Dès lors que les États-Unis, la Chine, la Russie, le Japon, le Nigéria, les Îles Caïman, la Corée du Nord et celle du Sud, le Brésil et quelques autres autoriseront et pratiqueront le clonage humain reproductif, quelle sera l'attitude des pays de l'UE ? Et bien, il y a un « consensus européen pour le condamner ». Nous n'allons pas briser ce si beau consensus, tout de même ? Ma foi, je ne sais pas, parce que d'un autre côté, on doit faire preuve de réalisme :

« Ne nous faisons pas d'illusions, les nécessités du marché […] contraindront à des positions communes dans beaucoup de cas. La décision de George W. Bush qui autorise le financement des recherches américaines sur les lignées cellulaires existantes […] montre bien que les cellules-souches constituent un gisement de ressources mondiales. Ces cellules, qu'elles soient embryonnaires, fœtales ou adultes, ont vocation à être importées et exportées d'un pays à l'autre ».

Bref, il y a les principes, et il y a la réalité. Surtout celle du marché. Dès lors qu'on a, comme Noëlle Lenoir, une orientation économique libéralissime, il faut une certaine cohérence, je crois — dont elle fait d'ailleurs preuve. Je suis là encore un peu bête, mais on ne peut pas, sauf à s'appeler Jean-Marie le Pen, être socialement réformiste, politiquement autoritariste et économiquement libéral : tout va avec tout. Entendons-nous, je ne dis pas que les trois choses sont inconciliables, mais ça doit jouer à tous les niveaux, comme dans le keynésisme par exemple, savant dosage de réformisme, d'autoritarisme et de libéralisme tant économique que politique et social ; dans l'interview on n'a guère d'aperçus concernant sa doctrine sociale, mais ses origines partisanes — elle fut dans une vie antérieure, avant mai 2002, très proche du Parti socialiste — laissent à penser que ça tendrait au réformisme ; par contre on voit qu'elle sépare nettement ce qui ressort de la gestion politique et des « réalités économiques » : côté politique elle a une position radicalement autoritariste, côté économie, une analyse ultralibérale. Ce qui donne une construction curieuse : le « réglementarisme libéral ». Enfin, curieuse, pas tant que ça, mais passons…

Notre amie fait preuve d'un libéralisme économique utilitariste et finaliste exacerbé et son vocabulaire concernant les « cellules-souches » m'effraie : « lignées cellulaires existantes » ; « cellules-souches [qui] constituent un gisement de ressources mondiales » ; « Ces cellules […] ont vocation à être importées et exportées » ; rappellons qu'elle dit de ces « cellules-souches », qui sont d'origine humaine, qu'elles peuvent être considérées « comme n'importe quel appareillage médical » ou « comme des organismes génétiquement modifiés ». Non dans l'absolu ou il faut en avoir le plus grand respect, mais dans le relatif, là où elles « sont avant tout des produits pour le marché européen ». Il se trouve qu'actuellement nous vivons dans des contextes fort relatifs…

Mais Mme la présidente et néammoins ministre est très réglementariste, elle considère qu'on doit certes libéraliser les pratiques, mais en les encadrer fortement. Enfin, ce n'est pas exactement ça… Lisant avec attention ses déclarations, vous verrez une gradation : pour ce qui est déjà réformé et joue un rôle important dans l'univers de la compétition économique, il faut accentuer les mesures libéralisantes ; pour ce qui est en cours de réforme et favoriserait la compétitivité économique de l'UE, il faut adapter les règles, les mettre en conformité avec les « réalités économiques » ; pour ce qui est actuellement hors économie, « il faudrait » un consensus mondial ; ça laisse de l'espace quant à ce qu'il faudra quand ça rentrera dans la sphère marchande…


Voilà le monde dans lequel je vis :

♦ En 1996, suite à la naissance de la brebis Dolly, « il y eut un consensus mondial » pour décréter que toute expérimentation, dans quelque but que ce soit, pouvant conduire à un clonage d'être humain, était prohibé ;
♦ Trois ans plus tard, face au forcing des laboratoires intéressés par ces recherches, des industries intéressées par les profits potentiels et des gouvernements intéressés à conserver un leadership dans ces domaines pour leur nation, on en vint à quelques accommodements, mais en se limitant aux fameuses « recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires », et pour le reste « il y eut un consensus mondial » quant à une interdiction ou, dans le domaine déjà sensible du « clonage thérapeutique », un moratoire de cinq à dix ans ;
♦ Deux ans après, ledit moratoire volait en éclat, toujours sur les mêmes pressions et pour les mêmes raisons, mais en revanche « il y eut un consensus mondial » pour interdire toute tentative de clonage à but reproductif.

Nous voilà deux ans plus tard, et j'attends de voir… Surtout, j'attends avec la plus grande impatience de lire une interview dans le quotidien Le Monde, disons en août 2003, de Mme la ministre déléguée aux Affaires européennes du gouvernement français, j'ai nommé Mme Noëlle Lenoir, pour voir comment, deux ans après avoir déclaré que « fabriquer des clones humains devrait être considéré comme un crime international », elle parviendra à justifier que l'Union européenne et le gouvernement français autorisent le clonage reproductif…


[1] Ah ! Mon cher Larousse ! Que me dit-il ? « ÉTHIQUE adj. (gr. êthikos moral) Qui concerne les principes de la morale. Jugement éthique. <> n. f. 1. Partie de la philosophie qui étudie les fondements de la morale. 2. Ensemble de règles de conduite. 3. Éthique médicale : ensemble des règles morales qui s'appliquent aux différentes activités des médecins. SYN. Déontologie médicale, bioéthique ». Je ne pense pas que la morale soit fixée « pour les siècles des siècles », cependant, il me paraît assez douteux qu'on veuille changer les règles, non du fait de l'évolution de la société et des progrès de la connaissance, mais en fonction des nécessités du marché et des besoins en matière de brevets de l'industrie bio-pharmaceutique. Enfin…
[2] Une autre discussion, courant 2001, portait justement sur la désignation de « clonage thérapeutique », les scientifiques considérant que le terme de clonage s'applique spécifiquement la reproduction à l'identique d'un individu, ce à quoi ne vise pas ce qu'on nomme « clonage thérapeutique », politiques et industriels considérant qu'un terme moins connoté passerait probablement mieux auprès de « l'Opinion ». C'est, concernant les politiques et industriels, du même ordre que le remplacement de « plante transgénique » par « OGM » : la présence de l'affixe -gèn- dans transgénique posait ce problème que toute ce qui touche aux gènes et à la génétique fait peur ; dans OGM il y a toujours -gèn- mais ça ne se voit plus, puis ça fait « technique » et distancié, rassurant…
[3] Note a posteriori. Considérez cette dépêche de l'AFP en date du 10 mars 2005 :

« Retrait US du protocole de la Convention de Vienne sur l'accès aux diplomates (presse)
Les Etats-Unis se sont retirés du protocole optionnel de la Convention de Vienne sur les droits consulaires qui permet aux personnes détenues à l'étranger de voir leurs autorités consulaires, indique jeudi le quotidien Washington Post. La secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a informé le sécrétaire général de l'Onu Kofi Annan de la décision de son administration de "se retirer à partir de maintenant" du protocole, dans une lettre datée du 7 mars, ont indiqué des responsables américains au journal. Proposé en 1963 par Washington et ratifié en 1969 avec l'ensemble de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, le protocole optionnel fait intervenir la Cour internationale de justice lorsqu'on refuse à des suspects incarcérés à l'étranger le droit de voir un diplomate de leur pays.
On aura relevé je pense le « Proposé en 1963 par Washington » qui motive cette note tardive.